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moment des opérations suprêmes. Le Roi revient aux idées qu’il n’a jamais complètement abandonnées ; il ne se console pas de voir achever la campagne sans qu’aucune conquête ait marqué le succès de son armée. Si Condé voulait faire sa cour, il attaquerait une place, Cambrai, — une bien grosse affaire, — ou au moins Bouchain. Le Roi ne l’ordonne pas, il le propose ; c’est de sa propre main qu’il le demande avec insistance[1]. Ne pourrait-on se diviser? Ici, M. le Duc; là, M. le Prince. Tandis que le fils attaquerait Bouchain, le père marcherait au secours de celle de nos places que les ennemis auraient attaquée. Tout résolu qu’il est à obéir, même à plaire, Condé est trop fidèle sujet, trop bon citoyen, pour se rendre au désir de Sa Majesté. Dans une dépêche adressée à Louvois[2] et fortement raisonnée, il repousse l’idée de mener de front le siège d’une place et le secours d’une autre, « à moins que le Roy ne veuille, en risquant son armée, troquer Audenarde contre Bouchain», et encore ! M. le Prince ne se trouble pas davantage de cette dangereuse fantaisie. Le 14 septembre, il quitte son camp de La Buissière. Le même jour, les alliés investissaient Audenarde.


XI. — SECOURS D’AUDENARDE. RETRAITE DES ALLIES. CONDE A SAINT-GERMAIN.

C’était une place médiocre, malgré de récentes améliorations, dominée sur la rive droite, à l’est, par des hauteurs dangereuses, voisines, et d’un relief assez prononcé ; les collines de la rive gauche étaient plus éloignées et moins hautes. L’Escaut, qui traversait la ville, assurait à la défense le secours des inondations; obligé de se diviser, l’assaillant restait exposé à divers accidens, ruptures de ponts, etc. Le gouverneur, Rochepaire, était un brave homme, mais vieux et fatigué. Heureusement, d’après les instructions antérieures de M. le Prince, un jeune et vigoureux officier, le marquis de Rannes, celui qui commandait les dragons Colonel-Général à l’attaque de Seneffe[3], s’était jeté dans la place avec un détachement de dragons et en avait porté la garnison à deux mille cinq cents hommes. Enfin Vauban venait de s’y enfermer; misa la disposition de M. le Prince quand on espérait un grand siège, il se trouva tout posté pour la défense. C’était le plus précieux des secours.

  1. Le Roi à M. le Prince, 8 septembre. A. C.
  2. 10 et 11 septembre. A. C. (minute).
  3. Nicolas d’Argouges, marquis de Rannes, avait débuté en 1657 dans le régiment de cavalerie du cardinal Mazarin. Lieutenant généra) en 1677, il fut tué au combat de Sickingen, le 13 juillet 1678. Gouverneur et bailli héréditaire d’Alençon.