Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

irrémédiablement l’Italie et la France. Pacifique, sans doute, mais pacifique avec des airs d’hostilité.

Le but déclaré de la Triple-Alliance était la paix. A merveille, mais sur quelle base ? Sur la base de la garantie par les trois États alliés de l’intégrité du territoire actuel de chaque État, avec ses dernières conquêtes ou acquisitions, c’est-à-dire de l’Allemagne avec l’Alsace-Lorraine, de l’Autriche avec la Bosnie et l’Herzégovine, et de l’Italie — avec quoi ? Sans Trente ni Trieste. Avec Rome ? Mais d’abord, à l’impossible nul n’est tenu, même par traité, et pour Sa Majesté Apostolique, pour ses ministres, c’est l’impossible que de garantir à l’Italie, autrement que sur le papier, la possession de Rome, enlevée au pape. On n’imagine pas l’empereur d’Autriche faisant la guerre pour que cette Borne, prise d’hier au Saint-Siège, reste à la dynastie de Savoie. En termes généraux et sur le papier, « la garantie réciproque des territoires », cela va bien ; mais si l’on vient à l’application, que de peines ! De tous les territoires « réciproquement garantis », il n’en est pas de plus difficile à garantir, en fait, que cet ancien coin de terre pontificale. Et de même, si imprévus que soient les aboutissemens de l’histoire et si absurdes souvent les choses humaines, on n’imagine pas non plus l’Autriche faisant la guerre pour que l’Italie, dont l’unité s’est constituée à ses dépens et ne peut s’achever, — à supposer qu’elle ; ait à s’achever, — qu’à ses dépens encore ; on ne voit pas l’Autriche faisant la guerre pour que l’Italie reste ou devienne une des Alpes à l’Adriatique, et au delà.

Dans le traité, il n’est question que de la garantie des territoires, et, pour l’Italie, le territoire à garantir, c’est Borne. Mais, à Borne, quelqu’un la menace donc ? Il nous semble aujourd’hui superflu de démontrer que ce n’est sûrement pas la France[1]. Si quelqu’un remet en cause la tranquille possession de Rome, c’est l’Allemagne elle-même, c’est M. de Bismarck ; en sorte que, comme on l’a déjà remarqué, c’est contre l’Allemagne et par peur de M. de Bismarck que l’Italie entre dans la Triple-Alliance. Cependant, tout ce qu’on peut obtenir de M. de Bismarck et de M. de Kalnoky, tout ce qu’on peut espérer d’eux, c’est qu’ils n’entreprennent point d’ôter à l’Italie sa capitale pour la rendre à la Papauté ; la garantie ; qu’ils donnent est purement négative, et, dès lors, l’alliance est d’une utilité médiocre. Y eût-il plus et M. de Bismarck fût-il prêta faire, par les armes prussiennes, la Borne italienne intangible, il faudrait encore, pour qu’il vînt la défendre, qu’elle fût attaquée, et personne ne songe à l’attaquer, la France moins que personne : dès lors, pour l’Italie, en ce qui concerne Rome et vis-à-vis de la

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mars 1893, l’étude sur La France et le pape Léon XIII.