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particulier d’une seule des puissances alliées. Admettre la clause des « intérêts communs », c’était réintroduire dans le traité, sous une forme déguisée, mais pire, parce qu’elle était vague, la question tunisienne qu’on entendait exclure.

M. Mancini était battu et mécontent : il confessait que, parmi les intérêts communs, à l’un des premiers rangs, entrait l’équilibre de la Méditerranée et il ne niait pas que ce fût un intérêt italien, bien plus qu’autrichien ou allemand. Mais précisément : si le traité ne souillait mot de l’équilibre de la Méditerranée, au moins implicitement, que venait faire l’Italie dans le traité ? Elle donnait et ne recevait pas. L’argument était fort, mais il ne porta point. De tous les genres d’amitiés, il n’en est pas de plus égoïste que l’amitié entre nations. M. Mancini dut se contenter, sur ce point qui le touchait tant, de « l’intelligence amicale », une belle promesse, qui ne commence et ne finit nulle part, si large qu’on s’y meut à l’aise, et qui, à volonté, peut tout contenir, ou rien. Mais que faire ? L’opinion publique criait : « Finissez-en ! Signez ! » de Berlin, le comte de ; Launay écrivait : « Ce n’est pas l’idéal, mais il serait plus dangereux, à présent, d’éviter l’alliance que de la conclure. » Et M. de Robilant écrivait de Vienne : « C’est à prendre ou à laisser. » M. Mancini prit tout de même. Il ferma sans joie ces négociations qu’il avait ouvertes sans enthousiasme et dans l’entier succès desquelles il n’avait eu que peu de jours une foi sans défaillances. Le comte de Robilant signa pour lui, le 20 mai[1]. Dès le 15, le traité pouvait être regardé comme conclu. Ce matin-là, le Journal officiel de la République française et la Gazette officielle du royaume d’Italie publiaient les lois et décrets qui rendaient exécutoire le traité de commerce entre les deux pays, fait à Paris, le 3 novembre 1881[2]. — M. Depretis avait eu le temps, en se pressant un peu, de tirer un de ses rideaux.


V

Ni M. Mancini, ni de M. de Launay, ni M. de Robilant n’étaient ravis du résultat. Tout le monde, en Italie, tenait pour un pis aller le traité austro-italo-allemand. M. Depretis y trouvait plus d’inconvéniens que d’avantages. Le grand avantage de l’alliance, à son avis, c’était « la certitude de jouir des bienfaits de la paix ». Les inconvéniens, il y en avait deux principaux. Bon gré, mal gré, l’alliance exercerait une influence sur la politique intérieure de l’Italie, qui lui devrait un caractère « jusqu’à l’excès conservateur ». Une fois connue, elle aurait pour effet de brouiller

  1. Sur toutes ces négociations, voyez Chiala, pp. 280-350.
  2. Chiala, p. 329.