l’horreur du militarisme est connue, ne paraissaient nullement choqués de voir planer sur eux cette figure de soldat, qui dominait de toute sa hauteur les édicules élevés par les autres nations dans l’immense palais des Arts et Manufactures. On dirait qu’ils ont un faible pour les monarchies exotiques. N’assure-t-on pas aussi que les descendans authentiques et dûment blasonnés des vieilles familles d’Europe sont comblés de prévenances et d’égards en Amérique ? Non qu’il soit nécessaire, pour recevoir un aimable accueil, d’être prince, duc, ou simple marquis ; mais cela ne nuit pas. Est-ce effet du contraste ? Est-ce en souvenir de La Fayette ? Mieux vaut croire à la courtoisie de républicains éprouvés qui peuvent fréquenter avec des féodaux, sans crainte de se compromettre. Quant au reproche de snobisme, laissons-le pour compte aux esprits satiriques. Se représente-t-on un milliardaire du pétrole, du coton, du fer, du blé ou du lard, jouant au naturel le rôle de beau-père dans quelque variante américaine du Gendre de M. Poirier ?
Pour être juste, il faut reconnaître que les efforts suscités partout en vue de perfectionner le matériel de l’artillerie et l’armement sur terre et sur mer, contribuent, par contre-coup, au progrès général de la métallurgie, et en particulier au développement des applications industrielles du fer, chaque jour plus hardies et plus heureuses. Les recherches ardemment poursuivies pour donner à l’acier la résistance requise par les explosibles modernes, la course échevelée entre les projectiles des canons et les cuirasses des navires, n’ont pas été inutiles aux ingénieurs qui élevèrent les fermes métalliques si justement remarquées à notre exposition de 1889, ou qui lancèrent des ponts comme celui de New York à Brooklyn par-dessus la rivière de l’Est. Les industries pacifiques profitent donc en quelque mesure des travaux de l’industrie guerrière. C’est une nouvelle interprétation du fameux proverbe latin ; mais cette forme de progrès industriel par voie indirecte n’est pas précisément économique.
Moins pompeux que l’attirail militaire, l’outillage intellectuel avait aussi tous les honneurs de l’exposition germanique à Chicago. La librairie occupait entièrement le rez-de-chaussée dans le pavillon officiel de l’Allemagne ; elle y montrait la collection complète des œuvres originales ou traduites de l’étranger et notamment des ouvrages scientifiques parus dans ces dernières années. En parcourant du regard les vitrines abondamment garnies, en feuilletant les volumes épars sur les tables à la disposition du public, les visiteurs pouvaient se faire une idée sommaire du mouvement actuel des esprits, et constater le soin apporté à l’exécution typographique, ainsi qu’aux illustrations et aux