dessins. Le canon et le livre, la légende voulait cette synthèse, dont on a toutefois un peu abusé.
L’exposition de Chicago était surtout un rendez-vous offert à l’Europe pour lui permettre d’admirer l’Amérique et d’étudier dans son cadre naturel « la plus grande nation du monde ». Si les Américains disent ainsi tout haut ce qu’ils pensent d’eux-mêmes, ils savent, sur bien des points, prouver ce qu’ils disent. Ne les a-t-on pas vus récemment encore, pour la production du fer, enlever à l’Angleterre le premier rang ? Leurs efforts ne se bornent pas à développer chez eux l’agriculture et l’industrie dans des proportions inquiétantes pour nous. Au milieu de cette société en effervescence, dont l’énergie, fiévreuse et patiente à la fois, paraît s’appliquer uniquement aux affaires, la science tient aussi une large place. Seulement, tandis qu’en France l’activité scientifique se concentre dans la capitale comme en son foyer, la science aux États-Unis est presque autant décentralisée que le reste. Pour en connaître sur place les manifestations diverses, il faudrait les suivre d’un bout du territoire à l’autre. Sous ce rapport, l’exposition féconde en enseignemens de tout genre était moins à Chicago même que dans le pays entier.
L’aspect général de la World’s Fair répondait bien à l’idée qu’éveille dans l’esprit la terre des grands fleuves, des grands lacs, des grands horizons et des grandes entreprises, où les maisons mêmes, à dix, à quinze, voire à vingt étages, proclament d’une façon quelque peu naïve le Quo non ascendam de l’ambition nationale. Tout était vaste, colossal, énorme. Les différens palais de l’exposition, séparés les uns des autres par d’immenses espaces, auraient pu contenir aisément le double de ce qu’ils renfermaient chacun. Pour aller des Beaux-Arts au Dôme central, où siégeait l’Administration, il fallait une demi-heure de marche. Était-ce une manière ingénieuse de rappeler que l’art doit rester libre et se tenir soigneusement à l’écart de toute ingérence administrative ? Le visiteur fatigué trouvait que l’amour du grandiose se déployait à ses dépens et déplorait la dissémination des édifices sur une étendue excessive. Puisque nous sommes voués au symbolisme, permettons-nous d’y découvrir le symbole de ce qui fit jadis la liberté, l’initiative hardie et la prospérité des Américains, lorsqu’ils vivaient au large et les coudées franches dans la prairie sans limites. Aujourd’hui encore, cet avantage subsiste en partie ; les États-Unis nourriraient facilement des habitans dix fois plus nombreux que la population actuelle.