Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

place, un pauvre hameau à peine peuplé, que protégeait un petit fortin. Le tout-Chicago féminin se composait alors de onze femmes, employées comme servantes chez les fournisseurs de la garnison. Elles étaient l’ornement des bals donnés par les officiers du fort, quoique des occupations beaucoup plus modestes les retinssent toute la journée près de leurs fourneaux, qui n’étaient pas chauffés à l’électricité. En écoutant ce récit, j’admirais le panorama de la vaste cité qui se déroulait sous nos yeux, ses grands parcs, ses belles avenues aux maisons largement espacées, ses rues immenses sillonnées de tramways, ses buildings imposans, ses pompeux édifices, son Auditorium, ses élévateurs gigantesques, son port plus actif que celui de Londres, ses chemins de fer plus nombreux qu’en aucune capitale du monde. Çà et là aussi s’étendaient de longues voies sans monumens quelconques, mais déjà pourvues des bornes d’eau et des poteaux portant les fils électriques pour l’éclairage, le téléphone et le car. Go ahead ! en avant, toujours ; les maisons suivront.

Actuellement, cette initiative infatigable travaille à transformer l’industrie par la substitution générale de l’effort mécanique à l’effort humain. Entre autres curieux essais, notons une machine à composer, déjà en usage aux États-Unis, quoique imparfaite encore, mais appelée certainement tôt ou tard à supprimer l’ouvrier dans la typographie comme ailleurs. Les magasins n’ont pas précisément supprimé les commis ; du moins les remplacent-ils, pour une part importante de leur besogne, en évitant les pertes de temps et les déplacemens inutiles. Un léger corbillon se charge de porter votre argent à la caisse et vous rapporte la monnaie. Parfois un autre corbillon semblable vous accompagne de comptoir en comptoir, reçoit vos menues acquisitions et vous les remet fidèlement à la fin de votre tournée. Le commerce y gagne, et les corbillons ne chôment guère. Car les élégantes acheteuses se trouvent plus libres que jamais de poursuivre, au gré de leur fantaisie, la paresseuse promenade à travers les étalages tentateurs, le shopping, qui paraît être leur passe-temps préféré.

Le triomphe de la mécanique américaine, c’est la construction des machines-outils, dont l’importance aux États-Unis s’accroît chaque jour. On sait leur donner toutes les formes et les plier à tous les usages. Les unes, véritables merveilles d’ingéniosité et de précision, servent à découper les menuiseries fines, à fabriquer de délicates moulures sur bois ou des engrenages métalliques, renommés pour leur perfection. D’autres au contraire sont des colosses de puissance et atteignent des dimensions exceptionnelles. Mentionnons certaines machines à fraiser, à raboter, à