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de la loi, « érigée en parc public ou jardin d’agrément pour l’avantage et la jouissance de la nation. » Dans quelle mesure les agrémens du jardin sont-ils goûtés par la nation américaine ? Ce n’est pas à nous de le dire. La foule préfère habituellement des beautés d’ordre moins sévère. Mais un parc national en Amérique ne pouvait pas ressembler à cette petite chose peignée et jolie qui charme les Londoniens, avec ses allées artistement dessinées et sa verdure correcte. Au Yellowstone, dont la superficie entière surpasse celle de la Belgique, la nature se montre sans ornemens, dans le désordre de sa sauvage grandeur. Je me garderai bien de revenir sur une description déjà faite[1]. Du reste, les gorges abruptes, les torrens et les cascades qu’on admire au pied des Montagnes Rocheuses, ne paraissent pas différer essentiellement de ce qui existe ailleurs dans le même genre. Le sud de la France et l’Algérie offrent d’aussi imposans spectacles à ceux qui savent les chercher.

La particularité vraiment curieuse du Yellowstone est le geyser : un bassin d’eau chaude, intérieurement tapissé de stalactites blanches, que le regard peut suivre très loin à travers la transparence bleue du liquide, puis au fond un abîme noir. Ce bassin est parfaitement paisible et, malgré la vapeur abondante qui s’en dégage, son aspect n’annonce rien de menaçant. Soudain, il frémit, il gronde ; l’eau se soulève, retombe, remonte encore, et finalement jaillit en gerbe puissante. L’éruption dure quelques instans ; puis le calme se rétablit, et les mêmes alternatives de repos et d’agitation recommencent par intervalles réguliers. Toutes les soixante-cinq minutes le « vieux fidèle » lance pendant cinq minutes une colonne d’eau et de vapeur qui atteint quarante mètres.

On trouve réunies dans le Parc national les variétés les plus diverses de geysers aux différens âges de leur vie : jets de vapeur continus, petites marmites crachant drôlement toutes les minutes, grands geysers à longues périodes (plusieurs jours, plusieurs mois, des années), « pots de peinture » dans lesquels clapote une sorte de boue jaune, verte ou rouge, sources chaudes, lacs dans lesquels toute éruption a cessé. Quelques-uns de ces lacs sont d’une beauté idéale, et méritent bien leurs noms d’ « émeraude », de « joyau », de « beauté », de « gloire du matin », et autres appellations poétiques. Sur le lac « prismatique », flottent des vapeurs dont les nuances admirables tiennent en partie aux colorations variées de ses bords, en partie aussi aux teintes d’arc-en-ciel que reflètent les gouttelettes de différens diamètres produites

  1. Voir, dans la Revue du 15 avril 1893, l’article de M. Léo Claretie.