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que les grandes banques ou les entreprises industrielles à cheval sur plusieurs pays ont déjà frayé la voie aux ouvriers qui veulent nouer leurs intérêts communs par-dessus les frontières.

Comment l’Eglise demeurerait-elle indifférente à des transformations si conformes à son propre génie, si menaçantes pour les habitudes particularisas qui ont le plus contrarié son unité ? Ce qui nous reste de gallicanisme s’évanouira vite devant ces nouvelles façons de penser. Les articles organiques relatifs aux communications avec Rome, seuls vestiges de barrières partout abaissées, nous paraissent déjà ridicules. Les Concordats, ces enclos où les souverains parquaient une partie du troupeau catholique, prendront peut-être une figure aussi archaïque dans les républiques de demain, si elles s’organisent avec une moindre cohésion nationale. La séparation d’avec l’Etat et l’association libre seront commandées à l’Eglise par l’atmosphère ambiante. C’est précisément une des raisons pour lesquelles nous hésitons à aborder l’expérience, nous tous qui voulons bien soumettre à l’esprit critique le monde entier des idées, pourvu qu’il respecte la cloison étanche énergiquement maintenue devant notre vieille notion de la patrie. Dans l’hypothèse de la séparation, on cherche avec quelque inquiétude ce qui remplacerait pour les catholiques français le frein artificiel manœuvré par l’Etat, ce qui contre-balancerait, dans certaines circonstances, l’attraction toute-puissante sur les fidèles du pôle central de la catholicité.

Cette appréhension, la certitude de ne pas obtenir une loi libérale sur les associations, les ménagemens dus aux populations et au clergé de nos campagnes, trop peu préparés à la grande épreuve, toutes ces considérations nous retiennent sur la pente où la claire vision de l’avenir nous pousse ; elles nous font opter pour le régime concordataire, avec ses conséquences pénibles, lorsqu’on nous invite à précipiter le saut dans l’inconnu. Mais ceux-là se tromperaient qui croiraient notre patience illimitée, notre sagesse indéfectible, et qui en abuseraient pour faire du Concordat une sorte de cangue chinoise, destinée à étouffer lentement son prisonnier. Si, comme je le soupçonne, les plus bruyans avocats de la séparation n’ont aucune envie de se la voir accorder, ils pourraient bien être pris à leur jeu, le jour où la goutte d’eau ferait déborder le vase, où les catholiques décideraient de préférer la liberté à la sécurité relative, l’honneur au pain amer de l’État. La séparation ne se fera point par la volonté des hommes, elle se fera par la force des choses. Rien ne la mûrit comme les débats religieux trop fréquens, comme les séances parlementaires d’où j’ai rapporté le sujet de ces réflexions. Si l’on ne veut pas de