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docteur de l’épouser et d’avoir part à l’héritage. Elle semblait lui vouloir du bien ; elle lui offrait quelquefois des grains de maïs rôti. Il ne se laissa point toucher par ces gracieuses avances. On les avait fiancés ; il ne put se résoudre à franchir le pas. Pouvait-il cependant trouver une meilleure occasion de s’initier à tous les mystères d’un cœur préhistorique ?

Un grand nombre de ces sauvages ne sont ni laids ni féroces. En général, ils sont plus craintifs, plus défians que farouches, et ils prêtent facilement à l’étranger qui vient les voir l’intention de les rançonner. Quoi qu’en ait dit Rousseau, l’homme, ainsi que les fourmis et les abeilles, est né sociable et propriétaire. N’ayant point lu le Discours sur l’origine de l’inégalité, les Indiens ne se sont jamais doutés que les fruits fussent à tous, que la terre ne fût à personne. Au degré de développement où ils sont parvenus, ils ont à la fois une propriété collective, c’est le territoire de la tribu, et une propriété personnelle qui se compose de leurs armes, de leurs meubles, de leurs outils et de leurs femmes. Si ignorans que soient les Bakaïris, la notion du tien et du mien leur est aussi familière qu’à nous-mêmes. — « Voilà une terre qui est à nous, disent-ils ; le ruisseau que voici est à nos voisins. La rive droite de cette rivière nous appartient, la rive gauche appartient à d’autres, mais nous avons tous le droit de pêcher. » Quiconque possède a quelque chose à perdre, et voilà pourquoi les visites qu’on leur rend donnent aux Indiens plus d’inquiétude que de plaisir. Cette inquiétude est plus vive dans les tribus riches, car il y a là-bas des peuples riches et des peuples pauvres, et M. von den Steinen s’est étonné de la différence que mettait entre eux un peu plus ou un peu moins d’aisance ou de misère. Au surplus, si, riches ou pauvresses Indiens ont une idée fort nette de la propriété, ils ne respectent pas toujours celle d’autrui, et s’ils ne sont pas féroces, ils sont quelque peu voleurs. M. von den Steinen a été volé plus d’une fois, mais à force de réclamations, de prières, de menaces, il est presque toujours rentré dans son bien.

« Celui qui le premier, disait encore Rousseau, se fit des habits ou un logement se donna en cela des choses peu nécessaires et s’éloigna de l’état de nature. » On voit bien que Rousseau ne visita jamais le bassin du Chingu. Les sauvages des régions tropicales du Brésil ne sauraient se passer d’habitations, surtout dans la saison des pluies, et ils ne conçoivent pas la vie sans un toit et un foyer. Ce sont là des choses fort nécessaires. Il est vrai qu’en revanche ils se passent très bien d’habits. Ils en ont pourtant, mais pour eux, s’habiller, c’est se déguiser, et c’est un plaisir qu’ils ne se donnent que dans leurs fêtes, leurs galas et leurs danses. Ils revêtent alors des costumes faits en paille de palmier, et leur visage disparaît sous un masque. Hors