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moindre, qui pouvait y songer ? En somme, M. Casimir-Perier avait pu faire illusion pendant quelques mois ; mais dans la Chambre actuelle, il n’y avait pas la matière d’un gouvernement homogène, — à moins pourtant qu’il ne fût radical : encore n’en était-on pas bien sûr. La majorité républicaine se partageait en plusieurs fractions dont aucune n’était assez forte pour s’imposer aux autres. Il fallait donc s’entendre, se faire des concessions réciproques, renoncer aux gouvernemens à caractère tranché, et revenir, vaille que vaille, à la vieille routine de la concentration. M. Léon Bourgeois, puis M. Peytral, puis M. Brisson, ont été appelés à l’Elysée.

Les modérés accepteraient-ils sans mot dire ce jugement sommaire porté sur la situation ? On n’a pas eu à le craindre longtemps. Ils se sont réunis au Palais-Bourbon, et se sont trouvés d’accord, à la quasi unanimité des membres présens, pour repousser toute idée d’un cabinet de concentration. Les républicains de gouvernement, — c’est le nom qu’ils se donnent, — ont voté un ordre du jour ainsi rédigé : « Le groupe, rendant hommage aux grands services rendus aux idées et aux principes de gouvernement républicain par le ministère Casimir-Perier, se déclare résolu à ne soutenir qu’un gouvernement qui, par sa composition et son caractère, lui donnera les mêmes garanties. » Il était difficile d’être plus clair et de parler plus à propos. Du coup, le cabinet de concentration est devenu impossible, et tous les efforts qui ont été faits depuis pour le constituer ont été inutiles. M. Bourgeois a déclaré à M. Carnot qu’il n’avait ni l’autorité nécessaire pour présider un ministère de ce genre, ni la majorité indispensable pour faire vivre un cabinet purement radical. Il consentait bien à entrer dans une combinaison formée suivant l’un ou l’autre type, mais non pas à y attacher son nom et à en prendre la responsabilité. Cette réponse a été la monnaie courante dont tous les radicaux appelés à l’Elysée ont payé la bonne volonté de M. le Président de la République : ils se sont récusés l’un après l’autre, spectacle édifiant et instructif. Jamais l’impuissance d’un parti ne s’était manifestée avec une plus grande force d’évidence. Les radicaux n’auront plus désormais le droit de dire qu’ils sont en mesure de prendre le pouvoir et de l’exercer, mais qu’on ne le leur a pas proposé. Ils n’ont d’autre ressource que de se plaindre de leurs chefs qu’ils accusent de timidité et de défaillance, ou encore de M. Carnot, dont ils commencent à suspecter la bonne foi. Ils auront beau dire, le fait est là, manifeste, et le pays ne s’y trompera pas : les radicaux se sont dérobés.

Cette attitude devrait, ce semble, leur imposer l’obligation de laisser vivre tranquille, au moins pendant quelque temps, le ministère que vient de former M. Dupuy ; mais nous parierions volontiers que, dès aujourd’hui, ils entreront en campagne contre lui, soit par des