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affaires de Picardie ne s’arrangeaient pas. Longueville tenait bon et fomentait contre lui la sédition. Pour se défendre, il avait dû attaquer, et un événement tragique qui avait eu un grand retentissesement — le meurtre de Prouville, lieutenant du duc — l’avait mis en échec devant l’opinion. La reine partait pour le voyage de Guyenne. Elle lui offrit le commandement de l’armée qui devait accompagner le roi et le protéger contre l’armée des rebelles. Un homme plus hardi eût accepté : il eût traversé en triomphateur la France entière ; il eût couvert de sa présence l’alliance des deux couronnes. Mais Concini préféra rester dans le Nord, à défendre ses intérêts personnels, et à guerroyer dans les environs d’Amiens sur les derrières de l’armée des princes. Ce refus donne sa mesure.

Le commandement de l’escorte qui accompagnait le roi fut confié au duc de Guise, et celui de l’armée opposée au prince de Condé fut remis au maréchal de Bois-Dauphin. Léonora Galigaï accompagnait la reine et, en l’absence de son mari, elle veillait à la défense des intérêts communs. Durant ce voyage, l’habile femme sut conserver son influence et, puisque tout était ajourné, préparer les événemens décisifs pour l’époque de la rentrée à Paris.

Le voyage s’accomplit beaucoup plus facilement qu’on ne l’avait pensé. L’armée du prince de Condé, conduite cependant avec une grande habileté par le duc de Bouillon, n’était pas assez forte pour en venir aux mains avec les troupes royales. Condé s’était en vain efforcé d’intéresser à sa cause les puissances hostiles à l’Espagne. Le parti protestant, qui avait fait mine de s’associer à la révolte des princes, n’avait pas su s’organiser à temps. D’ailleurs, il était divisé et les plus sages blâmaient ces imprudentes et stériles manifestations. La campagne militaire se borna à quelques escarmouches insignifiantes et, de la part des troupes de Condé, à des violences infinies qui les rendirent odieuses à tout le monde et notamment aux provinces de l’ouest [où elles séjournèrent le plus longtemps.

La cour arriva à Bordeaux, le 7 octobre 1615. Elle devait y rester jusqu’au 17 décembre. Au cours de ces deux mois, l’échange des deux princesses — celle qui allait régner en Espagne, Elisabeth, et celle qui venait régner en France, Anne d’Autriche — eut lieu, le 9 novembre, sur la Bidassoa, près de Fontarabie. Le mariage du roi fut célébré dans l’église métropolitaine de Bordeaux avec une pompe extraordinaire. Le roi et la reine, nés à huit jours de distance, en septembre 1601, entraient seulement dans leur quinzième année. Ils étaient encore tous deux des enfans. La reine mère voyait donc son rêve réalisé, et l’enfance