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amicalement. Mais, au cours de l’entretien qu’elle eut avec lui, Concini, qui se tenait derrière elle, dit à haute voix « que Villeroy n’en était pas à sa première trahison. » Le vieux ministre se tut. Il reprit ses fonctions ; mais l’autorité réelle lui échappait. L’ambassadeur vénitien écrit : « Le pouvoir de Villeroy ne se rétablit pas comme auparavant. La reine n’est pas bien disposée pour lui ; les grands l’abandonnent. Le chancelier est enchanté de le voir abattu. Le maréchal d’Ancre s’est déclaré contre lui, et celui-ci a un pouvoir absolu. » On se servait de Sillery, de son fils Puisieux, de son frère, le commandeur de Sillery, pour faire marcher les affaires. Ils se croyaient les maîtres. Le bon Jeannin continuait à couvrir de son nom le gaspillage des finances, et laissait le coulage s’organiser, en levant au ciel d’honnêtes regards.

Cette situation ambiguë dura quelques mois ; le favori s’habituait à l’exercice du pouvoir. Il songeait à se débarrasser de tout l’ancien personnel qui lui portait ombrage ; il était déjà entouré d’un personnel nouveau, composé d’hommes jeunes, actifs, ambitieux et qui probablement voyaient plus loin que lui dans son propre jeu. Il semble pourtant qu’au moment de frapper le coup décisif, le maréchal ait douté de la fortune.

C’était le temps où la reine se préparait à conduire le roi en Guyenne pour célébrer les mariages espagnols. Cette union devait mettre le comble à la politique personnelle de la régente. L’idée de passer à l’accomplissement la remplissait de joie et de fierté. Mais Condé comprenait que la consécration du mariage ruinerait ses prétentions et ses espérances. Ecarté définitivement du trône, il se confondait dans la foule des princes du sang. Il y eut là une heure critique. Condé, rassemblant dans un manifeste tous ses griefs personnels, agitant tous les sujets de mécontentement de la noblesse et de la bourgeoisie, excitant les passions populaires contre le gouverneur de la régente et surtout contre les favoris italiens, s’appuyant sur une coterie de jeunes parlementaires, toute hère d’être invitée à ses ballets, prend des airs d’homme résolu à aller jusqu’au bout. Il entraîne dans sa querelle la plupart des princes, les Bouillon, les Mayenne, les Longueville, se retire à Clermont en Beauvaisis, puis à Coucy, dans une place réputée imprenable. Il lève des troupes et tient la campagne. On lui envoie le vieux Villeroy, qui lui est plutôt agréable. Mais il résiste et lance son manifeste disant que les mariages ne pouvaient avoir lieu tant qu’on n’aurait pas porté des réformes profondes dans l’administration du royaume et tant que le maréchal d’Ancre serait le maître du gouvernement.

Dans ces circonstances Concini crut prudent de céder pour un temps et de s’éloigner momentanément de la cour. Les