contre moi, j’ai accompli la loi, je suis en règle ; par conséquent je puis ne pas travailler, je puis être oisif, moine contemplateur, ascète. Mauvaise morale. Le précepte doit être : « Les hommes se conduiront en frères les uns avec les autres. » Les hommes sont une famille. Il y en a de plus forts, soit par leur intelligence, soit par leur richesse acquise ; ce sont les aînés. À titre de frères ils doivent secourir leurs puînés, les petits de la maison, et de là cette maxime essentielle de la nouvelle législation morale : Amélioration physique et morale de la classe la plus pauvre. — Arrivé là, dans son dernier ouvrage, Saint-Simon n’a pas de peine à s’apercevoir qu’il récite l’Évangile ; il le reconnaît, proclame que la morale n’a pas fait une découverte et ne pouvait pas en faire une seule depuis : « Aimez-vous les uns les autres, » et intitule l’ouvrage qu’il écrit : Le nouveau christianisme.
Il n’y a, certes, rien à objecter à cette morale de Saint-Simon, si ce n’est qu’on ne voit nullement comment il la tire de son physicisme, ni en quoi elle est scientifique. Ce n’est probablement pas la nature qui nous enseigne à être frères les uns des autres, ni même à travailler quand nous pouvons faire autrement. La morale de Saint-Simon est une morale comme une autre, ou plutôt c’est la morale, qu’il enseigne, sans l’avoir fondée sur un nouveau principe, sur un principe lui appartenant, ni même sur aucun principe.
Quoi qu’il en soit, voilà ce que le clergé de savans devra prêcher.
Il devra enseigner encore le culte du progrès, et c’est ici que la morale de Saint-Simon prend jusqu’à un certain point un caractère original. La théorie du progrès ne fonde pas sa morale, ne lui donne pas un principe, mais elle lui donne un caractère, et un caractère évolutif ; elle la nuance selon les différens temps ; j’ajouterai qu’elle la précise, ou qu’elle prétend à la préciser, lui donnant, ou voulant lui donner, selon chaque temps, des qualités particulières à chaque époque, la qualité juste qui convient à cette époque. C’est assez curieux. Voici, si je comprends bien, la pensée de Saint-Simon sur ce point. L’humanité c’est un homme (idée, pour commencer, qui n’est pas prouvée du tout, qui faisait la joie de Proudhon quand il la rencontrait, et qui me semble, comme à lui, nonobstant Pascal, très contestable ; mais poursuivons), l’humanité est un homme ; elle a son enfance, son adolescence, sa jeunesse, son âge mûr, son âge de déclin, sa vieillesse. Elle se comporte dans le développement de sa carrière absolument comme un homme dans le cours de sa vie. L’enfant est bâtisseur, le jeune homme artiste, l’homme mûr belliqueux, le vieillard philosophe. Les Égyptiens sont bâtisseurs, les Grecs artistes, les Romains belliqueux et tout le moyen âge à leur suite. L’humanité est