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sans peine qu’il n’ait pu se résigner à aimer un maître étranger qui, tous les ans, lui enlevait pour son armée des milliers de jeunes gens. La campagne de Russie, en particulier, appauvrit l’Italie de quarante mille hommes.

Aussi, quand on apprit le désastre de Moscou, la joie fut-elle grande au-delà des Alpes. Une innombrable quantité de sonnets, d’odes, de dialogues satiriques célébrèrent la défaite du tyran. De cette époque datent la Fugitive de Grossi, l’Épisode de la guerre de Russie de Rosini, et surtout le beau poème d’un jeune Crémonais, Jean-Louis Radaelli, dont voici les dernières strophes :


« Ainsi, parmi l’outrage et la honte — tombent les vaillans ; et toi, leur chef, pendant ce temps — tu reviens sain et sauf et le front tranquille,

« Et de ton char de victoire brisé — s’élève un cri de guerre terrible, — dure réponse à la plainte des mères.

« Mais voici que furieuse se lève contre toi la terre, — et que ton pouvoir va finir.

« Sort mérité ! Mais je ne suis pas un homme vil, — et je ne veux pas t’insulter de ces lèvres — que la poésie a consacrées au culte de Dieu.

« Quand tu étais notre tyran, je t’ai méprisé : — une âme libre n’a point souci de la tyrannie ; — mais maintenant ton aventure fait de toi à mes yeux — le plus grand des hommes qui aient existé. »


Le peuple italien ne paraît pas avoir partagé, à ce moment, la généreuse pitié de ce jeune poète pour les malheurs de Napoléon. Et de fait Napoléon n’était pas plus tôt revenu de Russie qu’il levait en Italie de nouvelles armées. Aussi M. Medin cite-t-il toute une série de petits poèmes anonymes où l’Empereur est traité de monstre, d’assassin, de pourvoyeur de Pluton. On envie aux Russes l’honneur qu’ils ont eu de le vaincre. On joue sur le mot Mosca, qui signifie à la fois mouche et Moscou : « De tout temps, dit un quatrain, ce sont les araignées’qui ont avalé les mouches ; mais le grand Napoléon a été l’occasion de ce miracle, qu’une mouche (Mosca) a avalé l’araignée. »

Après le désastre de Leipzig, les épigrammes se multiplient. Elles deviennent innombrables après l’abdication de Fontainebleau. Quelques-unes sont en latin :


Napoleon, regum dedecus, furumque magister,
Quem tota abhorret progenies hominum.


Ou bien encore :


Napoleon, quondam Magnus cognomine dictus,
Nunc merito in castris dicitur Exiguus.


Un poète italien anonyme publie, en 47 strophes, les Dernières