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l’Angleterre, à la date du 12 mai dernier, une convention territoriale de la plus haute gravité, qui a été immédiatement livrée aux journaux, et dont la publication a paru marquer, de la part du roi Léopold, un désir de donner de l’éclat à la revanche qu’il prenait sur nous. On connaît cet arrangement : il a produit en France une impression profonde. Le groupe colonial de la Chambre des députés, donnant corps au mécontentement général, a fait entendre les plaintes les plus vives, et a chargé son président de développer ses griefs à la tribune. Il a fallu, pour le faire, attendre qu’il y eût un gouvernement ; mais, à peine constitué, celui-ci a dû répondre à M. Étienne, et tout porte à croire qu’il avait lui-même hâte de s’expliquer, car il devait à la fois ne pas laisser l’opinion s’égarer et tenait à s’appuyer sur elle dans les réclamations qu’il se proposait de présenter à l’Angleterre et au Congo. Il ne s’agissait plus seulement, cette fois, d’une difficulté de détail, localisée sur un point déterminé et propre à être résolue par un arbitrage, mais d’un ensemble de faits qui modifiaient gravement l’équilibre des diverses puissances en Afrique, et cela sans tenir compte, dans plus d’un cas, de ce que nous affirmions être nos intérêts et nos droits. La complexité des questions soulevées en rendait la discussion assez délicate ; mais cela n’a pas embarrassé M. Étienne. Laissant à M. le ministre des Affaires étrangères le soin de préciser le débat, il l’a élargi de son mieux et son discours n’a été qu’un vaste et ardent réquisitoire contre la politique de l’Angleterre dans toutes les parties du monde. Il l’a montrée avançant, empiétant, accaparant partout avec une hardiesse sans scrupule, mais aussi avec une persévérance et une vigueur qui lui ont arraché un cri d’admiration jalouse. Certes, M. Étienne a été éloquent ; peut-être pourtant aurait-il mieux valu s’en tenir aux griefs que nous avons personnellement à faire valoir-contre l’Angleterre à propos de la dernière convention, et c’est ce qu’a fait sagement M. Hanotaux.

Son succès a été très grand. La Chambre ne lui a pas marchandé ses applaudissemens, non plus que son appui. Elle a adopté sa thèse, telle qu’il la lui présentait et sans la discuter davantage, sentant bien qu’elle ne pourrait par là que l’affaiblir, et que notre ministre des Affaires étrangères avait besoin de toute son autorité dans les négociations diplomatiques qui allaient s’ouvrir. M. Hanotaux a, en effet, annoncé à la Chambre que « depuis très peu de temps » le gouvernement britannique avait accepté la conversation au sujet de notre situation respective en Afrique. C’est déjà un succès pour notre ministre, car, jusqu’au matin même du jour où l’interpellation a été développée, lord Rosebery se montrait réfractaire à toute idée même d’écouter les réclamations françaises. Un échange de propos avait eu lieu publiquement à la Chambre des lords entre lord Salisbury et lord Rosebery, et l’un et l’autre s’étaient trouvés d’accord pour repousser, non sans quelque rudesse d’accent, l’intervention d’une puissance quel-