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semblait être relativement la plus grave, et c’est celle de toutes qui s’est dénouée avec le plus de rapidité et de facilité.

À Pesth, et surtout à Rome, les choses n’ont pas marché aussi aisément. M. Wekerlé en Hongrie, M. Crispi en Italie, ont donné leur démission, et, après plusieurs jours d’efforts inutiles et de tentatives plus ou moins vaines, l’un et l’autre restent ou resteront en fonctions avec un ministère légèrement remanié. C’est du moins ce qui est déjà arrivé pour M. Wekerlé, qui avait peut-être sérieusement l’intention de s’en aller, et c’est ce qui arrivera pour M. Crispi, qui n’a prétendu faire qu’une fausse sortie. La différence est que M. Wekerlé revient plus fort et que M. Crispi reviendra plus faible. Le premier a fait accepter par la Couronne sa politique et ses principaux collaborateurs ; le second a cherché des collaborateurs nouveaux et, n’en ayant pas trouvé, il est obligé de se contenter des anciens. Rarement campagne politique a été plus maladroitement menée.

Le motif de la démission de M. Wekerlé est le rejet par la Chambre des magnats de la loi sur le mariage civil obligatoire, que la Chambre des députés avait déjà votée. Nous sommes, en France, habitués depuis si longtemps au mariage civil que nous avons quelque peine à comprendre les difficultés que cette réforme rencontre en Hongrie. S’il y a un pays au monde où elle serait utile et même indispensable, assurément c’est celui-là. La multiplicité des confessions religieuses, — il y en a jusqu’à huit, — y a introduit une véritable anarchie dans le contrat qui a le plus grand besoin de fixité. Chacune de ces confessions applique des règles différentes au mariage, à la séparation de corps ou au divorce, et il n’est pas très rare de voir un Hongrois passer de l’une à l’autre, soit pour contracter, soit pour rompre une union qu’il désire ou qui a cessé de lui plaire. Les mariages mixtes sont pour les parens, et plus encore pour les enfans, un dédale inextricable. L’obligation du contrat civil peut seule mettre un peu d’ordre au milieu de ce chaos, et M. Wekerlé s’est fait beaucoup d’honneur en prenant l’initiative de l’imposer. Il s’est brisé devant la résistance de la Chambre haute, et peut-être n’a-t-il pas trouvé tout d’abord auprès de l’empereur-roi tout le concours qui lui était indispensable pour aboutir. François-Joseph voulait bien laisser faire, mais lorsqu’on lui a demandé d’agir lui-même et de collaborer de sa personne à l’œuvre de son gouvernement, sa conscience de catholique s’est sans doute alarmée. Il a hésité ; il s’est dérobé à la pression de M. Wekerlé. M. Wekerlé demandait que le souverain manifestât par un acte public la conformité de ses vues avec celles de ses ministres, et notamment qu’il fit entrer dans la Chambre des magnats trois membres nouveaux qui restent constitutionnellement à sa nomination. L’accord ne s’est pas établi tout de suite, et M. Wekerlé a donné sa démission. François-Joseph a essayé