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Le second moyen de civiliser les races, qui est le croisement, amène aussi le psychologue et le moraliste devant les plus graves problèmes. On a depuis longtemps observé que le mélange de deux races a des effets psychologiques tout opposés, selon qu’elles sont égales ou inégales. Dans le premier cas, vous avez en présence deux constitutions cérébrales qui diffèrent sans doute sur certains points, mais qui coïncident sur un très grand nombre d’autres. Elles n’ont pas seulement en commun le fond encore barbare et presque animal qu’on retrouve jusque sous les caractères civilisés ; elles partagent aussi un grand nombre de tendances supérieures, produits de la civilisation : elles ne se séparent donc que par les plus hauts rameaux de l’arbre et s’épanouissent librement, nourries de la même sève circulant dans le même tronc. Aussi le croisement produit-il dans la race nouvelle un nouvel équilibre de facultés, qui ne diffère de l’ancien que par une plus grande richesse. Par exemple, qu’un Breton s’allie à un Normand, la volonté persévérante et la pensée méditative du premier ne contredira nullement la volonté entreprenante et la souplesse d’esprit du second : il pourra même en résulter un caractère mieux tempéré et plus harmonieux. Qu’un Breton s’allie à un Gascon, la distance est déjà plus grande, mais cependant ce ne sont encore que deux variétés d’une même race. Ernest Renan nous a longuement décrit l’état d’esprit qui, en sa personne, serait, selon lui, résulté de ce mélange. Il prétend que l’équilibre n’était pas parfait dans sa tête, qu’il oscillait assez souvent du rêve à l’ironie, du sérieux breton à la bouffonnerie gasconne. Peut-être, en effet, son esprit devait-il en partie à ce mélange ce qu’il eut de paradoxal. Pendant que, comme dans Don Juan, le Breton chantait sa romance à l’idéal, le Gascon l’accompagnait de ses arpèges moqueurs. Malgré ces contrastes, et même à cause d’eux, la fusion des races put amener ici un alliage rare et précieux. Mêlez à l’or un peu de cuivre et d’étain, l’or acquerra des qualités de résistance qui lui manquaient. Difficiles à apprécier chez les individus, les effets du mélange des races sont grossis chez les peuples et y deviennent visibles. Les variétés de la race blanche se sont fondues dans tous les pays de l’Europe et ont ensuite débordé en Amérique. Les mélanges qu’elles ont produits peuvent être plus ou moins heureux et plus ou moins homogènes, mais l’harmonie fondamentale des composans est telle, que le fond ethnique perd son importance devant l’influence croissante des élémens historiques, c’est-à-dire scientifiques, religieux, juridiques et politiques. L’Europe et