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Ce qui arrivera forcément un jour, c’est l’alliance de toutes les puissances européennes contre les menaces des jaunes et des noirs : elles seront unies par la nécessité en face de l’ennemi commun. Supposez une guerre décisive qui réduisît l’Angleterre au second rang ; il est probable, comme le remarque M. Pearson, que l’Hindoustan se formerait en empire séparé. Supposez que la Russie fût mutilée et démembrée, ce serait pour la Chine l’occasion de devenir une puissance de premier ordre. Au contraire, que les puissances d’Europe, qui ont des intérêts en Asie, s’unissent pour y maintenir la prééminence européenne, ce sera un pas vers le maintien de la paix en Europe même. Cette fédération pour un dessein unique, mais d’importance majeure, réagira sur l’Occident : les puissances alliées dans l’est seront portées à des compromis sur les petites dissensions de l’ouest.

L’avenir immédiat est sans doute enveloppé de ténèbres, mais il faut reporter ses regards vers le lointain. À ce point de vue, nous pouvons reprendre courage, car la question des races vient, si nous ne nous trompons, aboutir à un dilemme. Ou les races de couleur se rapprocheront assez de la race blanche, sous le rapport psychologique et physiologique, pour que le mélange par croisemens progressifs donne un type moyen élevé et perfectible ; ou, au contraire, l’abîme ira se creusant entre les races colorées et la race blanche, comme le pensent ceux qui croient à une inégalité progressive. Mais, dans cette dernière hypothèse, la race blanche deviendra de plus en plus supérieure aux autres. S’il en est ainsi, jaunes et noirs auront beau nous menacer, la race blanche trouvera dans sa science même et dans sa puissance d’invention des ressources capables de balancer la force du nombre acquise par les races inférieures. Elle restera l’élite durable de l’humanité, invincible et respectée. Dès aujourd’hui, le perfectionnement de l’intelligence étant devenu incomparablement plus utile à l’homme que n’importe quelle modification organique, l’influence de la sélection se porte de plus en plus vers ce côté. Or, dans toutes les prophéties pessimistes, on ne tient pas assez compte de l’élite intellectuelle, qui trouvera des moyens toujours nouveaux pour assurer et maintenir sa supériorité[1].

  1. A une condition toutefois, c’est que nos démocraties ne se découronnent pas peu à peu de cette élite en nivelant tout : en abaissant, par exemple, le niveau de l’enseignement sous prétexte d’égalité, en ouvrant les carrières libérales à ceux qui n’ont reçu qu’une instruction inférieure ; en admettant dans leurs Universités une foule de plus en plus envahissante et de moins en moins choisie. Si ce mouvement, appelé démocratique et qui, en réalité, est la perte de la démocratie, s’accentuait en Angleterre et en Allemagne comme en France, si, de plus, triomphait un socialisme utilitaire et inspiré par l’égoïsme des classes, c’est alors que nous deviendrions vraiment les équivalens intellectuels des Chinois : par cela même, nous ne pourrions plus lutter avec des races plus nombreuses et ayant des besoins moindres.