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tout perdues, et c’était pour cela que je désirais que vous approchiez de Leurs Majestés pour voir si l’on ne serait pas autant aise de se servir de vous que de toute autre personne de notre robe et condition… Assez tôt après ma lettre, ses affaires furent en bon et désirable train ; on lui expédia même et lui délivra le brevet de retenue du grand aumônier de la reine qui vient. Mais quelle sorte de fortune maligne préside à ses destinées ! Car la reine, avec une vivacité non pareille et colère extraordinaire et bien contraire à sa débonnaireté habituelle, s’est fait rendre le brevet… Or, moi seul et M. de Loménie, qui avait expédié et délivré le brevet, nous avons pu constater la grande satisfaction et, s’il est loisible de le dire, l’apaisement de colère avec lequel elle le fourra dans sa pochette avec un changement de visage et un mouvement si prompt qu’il ne peut y en avoir d’autre cause que ce que dit le poète : Tantæ ne animis cœlestibiis iræ. » Au récit de cette scène animée, dont la divulgation n’allait pas sans quelque péril pour un courtisan, l’évêque ajoute que le marquis de Richelieu et lui-même ont pensé qu’il y avait là une occasion à saisir pour frayer le chemin à la candidature de l’évêque de Luçon, et il termine par cette phrase, qui est une preuve de la profonde dissimulation dont Richelieu s’enveloppait même à l’égard de ceux qui travaillaient pour lui : « Monsieur de Richelieu et moi, l’un par nature et l’autre par une ferme résolution de ne mettre jamais à nonchaloir votre service, nous sommes résolus, contre votre humeur par trop, à l’aventure, stoïque, de faire la guerre à l’œil pour voir si nous pourrions donner quelque atteinte utile et honorable pour vous. Et ne m’alléguez pas votre bâtiment de Luçon : nous savons mieux que vous-même, ne vous déplaise, ce qui vous convient pour cette heure. »

Deux mots suffiront pour faire connaître l’issue prochaine de cette intrigue. L’Aubespine fut écarté, et Richelieu nommé aumônier de la jeune reine. Il devait se servir de cette situation pour pénétrer auprès de Marie de Médicis et pour prendre sur elle l’ascendant qui régla le cours de leurs destinées. Mais ce sont là des conséquences que le bon d’Eschaux évidemment ne pouvait prévoir.

Cependant Richelieu persévérait dans sa retraite. Il écrivait peu, sauf aux ecclésiastiques et à des personnes édifiantes ; il était plongé dans de vastes travaux théologiques ; il demandait à son libraire, Cramoisy, des livres d’étude : « J’ai apporté deux livres de Parœus contre Bellarmin, l’un De amissione gratiæ et statu peccati, l’autre De libero arbitrio ; il en reste un troisième du même auteur De justificatione contra Bellarminum, « Il lui faut ces livres, d’autres encore, tout ce qui paraît sur ces matières. C’est un docteur