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grave, penché sur ses papiers, et qui ne relève pas la tête. S’il se déride parfois, c’est toujours en compagnie peu frivole et sur un ton qui sent son évêque résident. Il écrit à Jamet, évêque de Langres : « Je m’imagine que maintenant vous ne respirez que sainteté et que tous vos ragoûts sont spirituels… Je souhaite tous les jours que vous soyez si bon courtisan qu’allant à Bayonne, je puisse vous attraper au passage ; mais je crains bien que le zèle d’un bon pasteur vous arrête. Si Mgr le nonce fait ce voyage, je perdrai mon latin ou je le régalerai, non selon son mérite, mais selon la portée d’un misérable pays où je m’assure pourtant qu’il trouvera quelque divertissement. » Ou bien encore c’est un terrible coup de boutoir envoyé à quelque officieux intempestif, futur pamphlétaire à ses ordres, qui lui avait donné on ne sait quel sujet de mécontentement. Voyez comme le caractère se découvre et devient brutal avec les inférieurs : « Monsieur, vous auriez raison de vous plaindre de moi et de me comparer aux amis de Job si vous étiez innocent et patient comme lui ; mais n’ayant ni l’une ni l’autre de ces qualités, n’appelez pas persécution ce qui n’est que remontrance charitable et fraternelle… Vous n’ignorez pas l’opinion, téméraire je le veux bien, qu’un certain nombre de courtisans ont eue de vos actions, estimant que ce fut maquerellage d’être ambassadeur du roi vers la marquise (de Verneuil) ou de vous entremettre entre lui et Mme de Moret au temps de ses plus fortes passions… Quoi qu’il en soit, l’opinion que l’on a de votre esprit et les charges dont il a plu à la reine m’honorer me défendent d’entreprendre aucune sorte de commerce avec vous, ni de vous en donner avec M. des Roches ; mais, usant de charité avec vous, comme j’ai toujours fait, et connaissant que l’humeur peccante qui vous dominait lorsque vous étiez ici abonde encore par trop en vous, je vous conseille de prendre une dose d’ellébore et d’user quelque espace de temps de lait clair pour tempérer cette grande chaleur et rabattre les vapeurs que vos viscères vous envoient au cerveau. »

La raillerie est vraiment charmante, et le correspondant de Richelieu devait en goûter tout le sel.

La cour cependant s’acheminait vers Bordeaux. Elle venait d’elle-même au-devant de l’évêque volontairement confiné dans sa province. Il boude encore ; il attend l’effet de certaines « promesses », auxquelles il devait faire allusion un peu plus tard quand elles furent réalisées. Cependant il se décide à quitter son prieuré de Coussay et à venir saluer le roi et la reine quand ils passent tout près de lui, à Poitiers. C’est là probablement, vers la mi-septembre 1615, qu’il reçut de la reine mère des paroles décisives pour la charge d’aumônier de la future reine. La cour