Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trois lignes que, n’ayant point de paroles assez dignes pour lui rendre grâces de l’honneur non mérité qu’il lui a plu encore me faire en mon absence, résistant de son propre mouvement à ceux qui me voulaient priver du fruit de ses promesses, je dédie toutes les actions de ma vie à cette fin, suppliant Dieu qu’il accroisse mes années pour allonger les vôtres ; que, sans me priver de sa grâce, il me comble de misère pour combler Votre Majesté de toutes sortes de prospérités. » Que ces paroles sont ardentes, que ces engagemens vont loin, et que tout ce travail serait admirable si les succès de l’ambition valaient une pareille dépense d’effort sur soi-même, de volonté soutenue, et d’artifice !

Le résultat acquis, rien n’est changé, en apparence, dans la vie de Richelieu. Cette charge ne lui donne, pour le moment, aucune autorité politique. D’ailleurs, la cour est toujours par monts et par vaux, empêtrée dans les difficultés du voyage de retour. Le royaume est dans le plus grand désordre. Toutes les provinces sont en proie aux hommes de guerre : Rohan n’a pu résister à la tentation ; les protestans soulevés occupent tout le Midi ; Condé a passé la Loire, et Bois-Dauphin n’a pas su l’empêcher de pénétrer dans la région de l’Ouest, d’où il peut donner la main aux protestans. Le frère de Richelieu, officier dans l’armée royale, trouve, pour qualifier la conduite du maréchal, des accens où l’on croirait reconnaître le vigoureux langage de l’évêque : « J’ai eu tant de honte et de déplaisir d’avoir vu M. le Prince passer la rivière de Loire à la vue de notre armée, que, depuis cette heure-là, je n’ai pas eu le courage de vous écrire… sachant bien qu’il ne peut y avoir d’excuse valable pour justifier cette action et qu’en telles occasions où il s’agit du salut d’un État, de la réputation des armes d’un grand roi, et de la gloire qu’on y eût particulièrement acquise, les trop grandes et prudentes considérations doivent être mises sous les pieds… Malheureusement les conseils de plusieurs autres aussi bien que les miens ont toujours été combattus d’une autorité souveraine, et la volonté que tous avaient de combattre, retenue par ses commandemens absolus. »

« Autorité souveraine, — commandemens absolus, » ces mots visaient les ordres venus de la cour. Les vieux ministres ne voulaient pas livrer au hasard d’une bataille le succès de leur politique d’atermoiement et de longanimité. Le roi marié, l’opposition des princes du sang, et notamment du prince de Condé, perdait de ses chances et de sa force. Comme nous l’avons dit déjà, au début de l’année 1616, les esprits et les intérêts, tout se portait vers la paix. Les premières propositions du prince de Condé arrivèrent au roi à Verteuil, chez un ami de Richelieu, La Rochefoucauld. Les conférences s’ouvrirent bientôt