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Ainsi, de toutes parts, venaient vers celui-ci des encouragemens et des secours qui exagéraient sa confiance en ses forces et exaspéraient ses ambitions. Il était le vrai roi de Paris, vivait d’une vie à la fois désordonnée et crapuleuse qui ne lui laissait ni le temps de calculer ni la liberté d’esprit nécessaire pour agir au moment opportun. Autour de lui, ses compagnons de débauche criaient à l’étourdir. Dans un de ces banquets, un mot fut prononcé qui, sous une apparence énigmatique, pouvait cacher un sens redoutable : Barrabas. Chacun l’interpréta à sa façon, les uns se contentant d’y voir une insulte à l’adresse du ministre Barbin, selon le mot de l’Evangile : « Erat autem Barrabas latro ; » mais le plus grand nombre affirmaient qu’il fallait dire « barre à bas », et que ces mots visaient la suppression de la barre qui, dans les armes des Condé, est le signe de la branche cadette : la branche aînée écartée, l’écusson aux fleurs de lys devait appartenir uniquement au prince. Condé lui-même disait sans mystère « qu’il ne lui restait plus qu’à ôter le roi du trône et à se mettre à sa place. »

Cette agitation, ces violences et ces ambitions avaient un point de mire avoué et commode : les Concini. Ceux-ci avaient échoué dans la tentative de rapprochement qui avait suivi la paix de Loudun. De part et d’autre les haines s’étaient exaspérées. Dans l’entourage de Condé, on parlait couramment de l’assassinat du maréchal d’Ancre. On vivait dans une atmosphère de délations et de menaces réciproques. On s’habituait à l’idée qu’on était à la merci d’un coup de main ; on s’apprivoisait avec le péril. Un jour que le maréchal alla visiter seul le prince de Condé, qui recevait l’ambassadeur d’Angleterre, les hommes du prince voulurent faire le coup. Ils attendaient un signal que leur maître n’osa donner. Concini, averti, se tira promptement du piège et sortit en narguant assez crânement ceux qui le menaçaient. Au fond du cœur, pourtant, lui et sa femme étaient troublés. Vers le milieu du mois d’août 1616, « ils dirent à Barbin qu’ils étaient désespérés, qu’ils voyaient bien que tout était perdu pour le roi et pour eux ; qu’ils voulaient l’un et l’autre se retirer à Caen, et de là, par mer, s’en aller en Italie ; que plût à Dieu ! fussent-ils dans une barque au milieu de la mer pour retourner à Florence. » Barbin lui remonta un peu le cœur. Mais peut-être commençait-il à vouloir se dégager du poids énorme dont l’impopularité du favori entravait sa politique. Il conseilla au maréchal et à sa femme de s’absenter pour quelque temps, « afin que les princes ni les peuples ne pussent prendre leur prétexte accoutumé sur eux. » Le départ fut donc décidé, au moins pour la Normandie. Mais, au moment de monter en litière, la maréchale,