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— comédie ou faiblesse, — fut prise d’un évanouissement. Il fallut surseoir au voyage. Le maréchal voulait partir quand même ; sa femme le retint et ne lui permit qu’une courte absence. Ils restèrent en France.

Parmi toutes ces difficultés, les conseillers de la reine n’avaient, pour se soutenir, que leur courage. Mais leur âme ne faiblit pas un instant. Comme le dit Richelieu, qui était au courant de tout, « le conseil était composé de personnes portées avec passion à l’affermissement du pouvoir ». Ils étaient résolus à faire tête jusqu’au bout. Barbin se multipliait, adroit et ferme avec les princes, tenace et attentif auprès de la reine, rude parfois avec les Concini, l’œil tourné du côté de Luynes, sentant que le péril pouvait venir de là. La violence ne lui faisait pas peur. Il se croyait dans une de ces positions désespérées où la sagesse consiste à jouer froidement le tout pour le tout.

Une scène étrange, qui fit une grande impression sur la reine, précipita les événemens. Le vieux Sully vivait, depuis sa disgrâce, dans une demi-retraite où il attendait toujours le signal qui devait le rappeler aux affaires. Quoiqu’on eût toujours pour lui des égards apparens, il affectait une bouderie muette qui, si on lui en eût prêté l’occasion, n’eût demandé qu’à se déverser en plaintes abondantes et amères : en somme, la cour le négligeait et le considérait plutôt comme un adversaire. Or, un beau matin, on le vit arriver aux appartemens de la reine, vêtu, comme d’ordinaire, à la mode surannée du roi Henri. Sa figure sévère était plus sombre que jamais. Il demanda à voir la reine. On lui dit qu’elle avait pris médecine. Il insista, disant que le sujet était trop important pour qu’il pût admettre le moindre retard, qu’il y allait de la vie de Leurs Majestés. On le fit entrer. Barbin et Mangot étaient là. Le jeune roi survint. Le vieillard fit le tableau le plus effrayant de la situation. Il affirma que tout allait périr et que le roi et le royaume étaient menacés. Barbin lui demanda d’indiquer le remède. Sully fut interloqué. Il n’osait pas dire le fond de sa pensée qui était de changer les ministres et de le rappeler lui-même aux affaires. Mais il reprit ses prédictions funestes et, comme il partait, revenant sur ses pas, une jambe avec la moitié du corps dans la chambre, il dit : « Sire, et vous, Madame, je supplie Vos Majestés, de penser à ce que je viens de dire ; j’en décharge ma conscience. Plût à Dieu que vous fussiez au milieu de 1 200 chevaux ; je n’y vois d’autre remède » ; puis il s’en alla.

La reine ne pouvait plus se contenir. Elle allait de l’un à l’autre, prenant tous les seigneurs de la cour à témoin de sa conduite,