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Provençaux au grand trouveur du Midi. » Ah certes ! on ne rencontrera nulle part dans Jasmin rien qui approche de l’admirable idylle du deuxième chant de Mireille, et près de la robuste imagination de M. Mistral, en regard de sa virtuosité lyrique, de la richesse, de l’éclat et de la science de sa langue composite, de tout son méritoire et noble labeur pour ressusciter et infuser à ses lecteurs l’âme antique, celle des aïeux de Provence (di rèire), le Figaro sentimental des Papillotes semblera bien chétif. Et cependant nous oserons dire, toutes distances gardées, que l’auteur de Mireille est un Jasmin qui a lu Virgile. De même Aubanel, — relisez l’Abuglo, Lous dus frays bessous, La Semmano d’un fils, ou encore certain épisode haut en couleur de l’autobiographie poétique des Papillotes, — est un Jasmin qui a lu Pétrarque et aussi le Catulle à reliure rouge du vieil oncle, lou canounge galéjairé.

Au reste, MM. Mistral, Aubanel et d’autres n’ont qu’à gagner à ce cousinage éloigné mais authentique avec l’auteur des Papillotes, car il donne une mesure flatteuse d’une bonne part de leur originalité. Ces rapprochemens, très légitimes, permettront, en outre, aux curieux du nord de la Loire, de se faire sans fatigue une opinion motivée sur la légende puérile de « la génération spontanée » du félibrige, lequel mérite d’ailleurs, sous ces réserves et en considération de la maîtrise poétique du chantre de Mireille et des Iles d’or et du zèle admirable de son Trésor du félibrige, d’être appelé « le mouvement de Mistral ». Il nous reste à indiquer sommairement quelle place y prit Aubanel, quel emploi il fit, pour traduire ses inspirations ou ses imitations, de l’idiome déchu, qu’à l’école de ses compagnons, il avait appris à manier et dont il rêvait lui aussi la réhabilitation littéraire.


III

Les premières poésies d’Aubanel, celles-là mêmes qui eurent ici jadis les honneurs de la citation[1], révélaient toute la virtuosité du jeune poète et le mettaient hors de pair, parmi la trentaine de rimeurs du recueil des Provençales (1852), tout à côté de Mistral et de Roumanille. Mais on n’y trouve pas trace de ce qui allait être sa véritable inspiration.

Elle lui vint d’abord de l’amour, un amour ingénu. Vers la vingt-cinquième année, il s’éprit d’une jeune fille nommée Jenny, avec laquelle il avait usé timidement des très petites privautés du flirt provençal, sans avoir pris avec elle « les derniers engagemens », comme dit l’auteur de Bérénice, sans lui avoir même déclaré

  1. Voir dans la livraison du 15 octobre 1859, le premier des articles de M. Saint-René Taillandier qui initièrent les lecteurs de la Revue à la Nouvelle poésie provençale.