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un poste de confiance au Vatican. Sur un léger signe de sa main, les gens de service dans la salle suspendirent aussitôt les préparatifs de clôture.

— Vous aimez donc beaucoup la Segnatura ? me dit le chanoine en me prenant le bras. Vous venez souvent ici, je m’en suis aperçu, et il me tardait de vous souhaiter la bienvenue dans ces lieux qui me sont chers entre tous. Voilà longtemps que j’ai dépassé le mezzo del cammin di vita : mais devant les sublimes peintures de cette Stanza, je retrouve toujours l’ancien enthousiasme de mes vingt ans, malgré tout ce qu’on a fait depuis pour me le gâter. Ah ! mon cher monsieur, gardez-vous bien des novateurs !…

… La péroraison était inattendue, et l’accent dont elle fut prononcée ne laissa pas de me faire légèrement sourire ; c’était un accent mystérieux, angoissé, l’accent de Yago disant au Maure : O, beware, my lord, of jealousy

— Qu’entendez-vous par « novateurs », monsignoré ?

— Mais les critiques et les écrivains si nombreux de nos jours qui semblent s’être donné le mot pour bouleverser de fond en comble notre pauvre cinquecento, et prétendent tout savoir mieux que ce bonhomme de Vasari.

— L’endroit n’est pas peut-être des mieux choisis pour célébrer l’infaillibilité de Vasari : les pages qu’il a précisément consacrées à la Camera della segnatura contiennent de véritables énormités. Il fait précéder la Dispute par l’École d’Athènes, ce qui est inadmissible, et il donne de l’École elle-même une interprétation tout à fait à contresens…

— Sans doute, sans doute. Du temps de Vasari, les Stances n’étaient pas d’un accès facile et journalier comme elles le sont aujourd’hui ; on n’avait pas non plus alors les photographies de Braun et d’Anderson pour contrôler à tout moment ses souvenirs et ses notes. Qui d’ailleurs a parlé ici de l’infaillibilité de Vasari ? Il a commis certes bien des inadvertances, des méprises et des confusions, et rien de plus juste que de le redresser chaque fois qu’il est contredit par l’évidence ou par des documens authentiques. Mais je ne puis oublier, malgré tout cela, que le peintre-historien d’Arezzo a été le témoin oculaire, intelligent et diligent, du cinquecento, que nous lui devons en somme presque tout ce que nous savons sur les maîtres d’autrefois ; et voilà ce qu’oublient malheureusement les novateurs venus tant de siècles après lui avec leurs hypothèses à perte de vue et leurs constructions fantaisistes.

Tenez, voulez-vous connaître les novissima verba de nos novateurs à propos de cette Camera della segnatura où nous causons ?