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harmonieuse et suprême. Cette peinture symbolique et synthétique, si chère à la génération de Giotto et de Lorenzetti, mais que les vigoureux naturalistes du XVe siècle avaient tout naturellement négligée et laissée dépérir, le jeune Santi l’a ressuscitée de nouveau dans cette Stanza : il Fa transfigurée, animée du souffle puissant et généreux de son temps, revêtue de toutes les splendeurs du christianisme et de l’antiquité. Il a retracé là, devant nous, les fastes de l’esprit humain et de son grand œuvre dans les régions de la foi et de la loi, du savoir et de l’imagination ; et ce thème, idéal et abstrait s’il en fut, il a pu le traiter avec la perfection de métier que lui avait léguée la magnifique école de Masaccio, de Pier della Francesca et de Ghirlandaio ; avec la sérénité et le sens de la beauté que lui enseignaient à Rome les modèles du monde classique ; avec la science de la composition qui fut son secret ; avec la grâce enfin et la mesure qui furent chez lui des dons innés.

La mesure, le goût exquis de l’artiste, vous les reconnaissez rien qu’à la part qu’il a su faire aux allégories et aux scènes historiques dans la composition de ce cycle. Il ne les a pas confondues ensemble, à l’exemple des maîtres du trecento ; il n’a pas mêlé les abstractions au drame, les personnifications aux personnages. Les figures allégoriques de la Justice, de la Science, de la Théologie et de la Poésie, vous les voyez toutes reléguées ici dans la voûte, dans de grands cercles au fond doré, isolées et séparées du vaste panorama d’en bas, auquel elles ne font que présider en quelque sorte du haut de leurs trônes et du milieu des nuages. Les peintures du plafond, on ne peut en douter, ont précédé celles des parois ; et il est bien intéressant d’observer les progrès rapides que fait le jeune Santi de jour en jour, pour ainsi dire, et d’un médaillon à l’autre. La figure de la Justice a un caractère encore tout péruginesque, et est en effet presque entièrement inspirée par celle du Cambio : son air placide et candide jure quelque peu avec l’épée et les balances qu’elle tient dans les mains. L’artiste a de plus cru devoir renforcer la frêle conception de quatre putti délicieux ; mais il n’a pas tardé de s’apercevoir de l’encombrement et a réduit leur nombre à deux dans les médaillons qui suivent. — La préoccupation du modèle classique et des détails archéologiques n’est que trop visible dans la seconde allégorie, et on ne saurait nier non plus que le symbolisme multicolore de la draperie à quatre nuances tranchées et historiées (par allusion aux quatre élémens) ne nuise beaucoup à l’aspect de la Science, dont la tête cependant a une bien grande allure. — En revanche, quelle apparition à la fois suave et puissante que cette Théologie, mélange heureux du type ombrien et florentin, du type du Pérugin