nous essayons de dormir. De temps à autre des rugissemens prolongés, modulés, qui sans nul doute ont la prétention d’être tendres, nous font sursauter, redresser la tête.
— Propos d’amoureux, me dit alors avec gravité Mateo, et c’est une sécurité pour nous. Tandis que ces messieurs vont débiter leurs complimens à la señora, et se disputer ses faveurs avec des coups de patte qui suffiraient pour nous éventrer, ils ne songeront ni à leur estomac, ni à nous.
J’approuve ce dire et je me recouche.
On connaît les nocturnes clameurs des chats, leurs déclarations passionnées, leurs roulades langoureuses, leurs modulations bruyantes ; eh bien, que l’on décuple l’intensité de ce vacarme, et l’on aura une idée assez exacte du concert qui nous est donné. Suivie de ses adorateurs, comme a dit Mateo, la tigresse décrit des cercles autour de nous, tantôt à droite, tantôt à gauche ; nous entendons des griffes s’aiguiser sur l’écorce des troncs, ou sur les branches d’un arbre agilement escaladé. On se défie, on s’injurie, on se menace, on se crache au visage de belle façon. Parfois s’établir un silence relatif durant lequel, je le devine, on échange des coups d’ongles et des morsures. Assis, luttant contre les moustiques, j’étudie le son des voix pour connaître le nombre des prétendans, et j’opine pour cinq. Quant à Mateo, il ne s’est réveillé qu’une seule fois au charivari d’un morceau d’ensemble, aussi discordant que bruyant.
— Lorsque l’amoureuse « folie » les prend, ces maudites bêtes sont encore plus enragées que les hommes ! s’est écrié mon guide avec conviction.
Puis, sans même attendre ma réponse, il s’est rendormi.
Vers deux heures du matin, la bande s’éloigne ; ses clameurs deviennent de plus en plus sourdes, s’éteignent ; et le grand, l’imposant silence ordinaire aux forêts de haute futaie, règne absolu. À cinq heures, nous sommes debout, écoutant de nouveau des propos d’amoureux ; mais, cette fois, ce sont des chants, des mélodies que nous savourons charmés. Nous nous dirigeons vers le lac dans les eaux duquel j’ai hâte de me plonger, pour me délasser. Près de la lisière de la forêt nous traversons un des nocturnes champs de bataille des jaguars : il est semé de touffes de poils roux tachés de gouttes de sang. Le combat qui s’est livré là a dû être acharné, meurtrier, car le sol est fouillé, labouré.
— Je vous l’ai dit, pis que des hommes ! répète le moraliste Mateo en face de ces dégâts.
Et je songe qu’il n’a pas tout à fait tort.
Sur la plage, à la même place et dans la même position que la veille, nous retrouvons les deux mystérieux caïmans. Sont-ils