pétrifiés, morts, empaillés ? Je m’approche d’eux pour chercher à découvrir la vérité. Leurs yeux saillans, sournois, cruels, me regardent certainement venir, et je crois y voir un peu de convoitise.
Nous avons grande envie de nous baigner, ot la présence des deux monstres qui, extasiés, regardent le soleil levant, nous inquiète moins que s’ils étaient dans l’eau. Nous nous éloignons, non pour respecter leur méditation, mais pour ne pas trop les tenter. Tandis que nous nous ébattons, l’un d’eux soulève sa mâchoire supérieure, fait quelques pas vers l’eau, de laquelle nous nous empressons de sortir. Nos deux voisins décrivent un demi-cercle, et, maintenant, c’est nous qu’ils contemplent. Ma peau blanche, qui contraste si bien avec la peau noire de Mateo, semble les intriguer, car leur attention est très visiblement concentrée sur moi. Lorsque j’apparais couvert de mes vêtemens en peau de daim, et que mon guide se montre dans sa veste et sa culotte de panne bleue, les deux terribles mâchoires s’ouvrent et se ferment alternativement. Nos voisins sont-ils surpris de notre transformation ? j’en jurerais. Toutefois, comment le vérifier ? Mateo, que j’interroge, secoue la tête ; il ne sait pas plus que moi sur quelle partie du masque immobile des monstres l’étonnement peut se peindre, et nie même qu’ils puissent s’étonner.
Nous voilà rafraîchis, équipés, décidés à contourner le lac, à gagner la hauteur contre laquelle il s’appuie. Notre déjeuner et notre dîner sont conquis, grâce à l’adresse de Mateo. Il a fait tournoyer un bâton, l’a lancé au milieu d’une bande de canards inexpérimentés, a blessé deux des pauvres volatiles, s’en est emparé. Nous ne nous sommes pas apitoyés sur leur sort ; nous avons sur6le-champ décidé que nous les ferons cuire là-bas, sur le point où le terrain s’exhausse, en même temps qu’un chou-palmier. Le tigre est cruel, très cruel ; au fond, l’homme l’est aussi.
Nous longeons la rive gauche du lac et, moins chargé que mon compagnon, je prends les de vans. Je m’arrête en face d’un arbre abattu, que j’examine. Sa base n’a pas été calcinée pour amener sa chute, selon la pratique ordinaire des Indiens : elle a été entaillée par une hache dextrement maniée. Toute notre insouciance disparaît en face de cette preuve de la présence de nos semblables ; nous nous rapprochons de la lisière de la forêt, et nous scrutons avec soin l’horizon. Rien en vue ; nous remarquons seulement que tous les hôtes ailés du lac : canards, aigrettes, pélicans, ibis, hérons, aigles pêcheurs se portent de préférence vers la pointe où se tiennent les caïmans.
Nous avons repris notre marche et, à cinq cents pas de l’arbre abattu, nous découvrons les traces du passage d’un cheval, puis un chemin creux, montant, piétiné, foulé par des taureaux et des