Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seigneur Jésus, sauveur de tous les hommes, il la demande, lui, au nom de la Vierge de Guadalupé, qui s’est elle-même déclarée reine et mère des Mexicains, et qui journellement, dans son sanctuaire de Mexico, fait pour eux des miracles en guérissant leurs maux incurables.

— Venez, dit enfin un des cavaliers ; mais où sont vos chevaux ?

— Nous cheminons à pied tout comme si nous étions des Indiens, répond Mateo avec un peu de gêne ; sachez toutefois, señor, s’empresse-t-il d’ajouter en se redressant avec dignité, que ce n’est pas la pauvreté qui en est cause, mais le métier de mon maître. Ce métier, assez singulier, consiste à éplucher les herbes et les buissons pour attraper des mouches ; à retourner les pierres sous lesquelles se cachent des insectes ; à soulever les écorces sous lesquelles s’abritent les serpens ; à regarder ce qui se passe au fond des nids.

Les deux cavaliers m’examinent avec curiosité, puis celui qui nous a répondu pousse son cheval, m’engage de nouveau à le suivre. Il se dirige vers la forêt dans laquelle nous pénétrons, sur un sentier largement tracé. Son compagnon nous a simplement salués, et, sombre, nous regarde nous éloigner. Avons-nous rencontré deux jumeaux ? leur ressemblance est si frappante, leur âge paraît si bien être le même, — vingt-deux ou vingt-trois ans, — que j’en ferais volontiers le pari.

Tout en cheminant, Mateo achève d’instruire notre hôte futur de ma condition, puis ne craint pas de l’interroger. J’apprends que le jeune homme a pour patron San Lorenzo, et qu’en compagnie de son frère, Maximo, il vit avec son père, don Blas. Ils sont éleveurs et, deux fois par an, ils conduisent à Cordova ceux de leurs chevaux, ceux de leurs taureaux qui ont l’âge d’être vendus, et rapportent de la petite ville des vêtemens, des provisions, des armes, des munitions. Quatre familles indiennes vivent près d’eux, cultivent le sol, et l’on échange avec elles de la viande contre des légumes ou des grains. Peu à peu la contrainte de notre conducteur se détend ; sa colère, son émotion s’apaisent ; et il nous laisse voir son naturel qui est aimable, liant.

— Nous avons bien fait d’intervenir, me dit à mi-voix Mateo dans un moment où notre guide, qui maintient à grand’peine sa monture au pas, a pris un peu d’avance, et don Blas nous doit certainement la vie de l’un de ses fils. Il nous faudra compléter notice œuvre, señor, en essayant de mettre d’accord ces deux jeunes coqs. La cause du massacre auquel nous avons failli assister est certainement une poulette, à moins que ce ne soit quelque veuve expérimentée. Femmes ou tigresses, tigres ou hommes, c’est tout