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défrichemens eurent lieu ; les champs de blé remplacèrent les vaines pâtures ; la vigne et l’olivier se substituèrent aux broussailles ; mais, quoique la nature en fût très changée, on leur conserva leur ancien nom. Ces saltus étaient ordinairement des exploitations énormes, « qui égalaient, nous dit Frontin, le territoire d’une cité, et même le dépassaient, » ce qui fait songera l’Enfida, qui contient plus de 150 000 hectares. « Au centre, ajoute Frontin, s’élève la villa du maître qu’une ligne de villages entoure comme d’une ceinture ; « ailleurs il parle « d’un peuple de cultivateurs » qui remplit les champs. Les plus importans de ces saltus appartenaient aux empereurs.

Dans l’un d’eux, qui s’appelait Saltus Burunitanus, et qui était situé dans la vallée du Bagrada, on a découvert, il y a peu d’années, une inscription qui est assurément l’une des plus curieuses que nous ait conservées l’Afrique. C’est une requête des cultivateurs du saltus, adressée à l’empereur Commode, avec la réponse du prince ; elle a pour nous cet intérêt de nous faire connaître comment ces vastes territoires étaient administrés. Nous voyons qu’il s’y trouvait d’abord un procurator de l’empereur, qui dirigeait tout le domaine, et qui dépendait lui-même du procurator de Carthage, et au-dessous de lui des conductores et des coloni dont la situation n’était pas la même. Les conductores, comme leur nom l’indique, avaient pris à ferme une partie du saltus, l’exploitaient à leurs risques et périls, et payaient au propriétaire une redevance stipulée par le contrat. Leur bail était, comme au temps de la république, renouvelé tous les cinq ans. La période finie, ou bien le fermier se retirait, ou il faisait un bail nouveau, et ce bail pouvait être le même que l’ancien ou contenir des clauses différentes. La condition des coloni est tout autre. D’abord ils sont pauvres, tandis que les conductores semblent avoir été riches ; vraisemblablement ils cultivent les parcelles de terre que les conductores n’ont pas voulu affermer, c’est-à-dire les moins bonnes. Il ne paraît pas qu’ils aient payé au propriétaire une redevance fixe ; il est plus probable qu’ils partageaient les fruits avec lui. Enfin, on ne dit nulle part qu’il y ait eu entre eux et le propriétaire un bail qui se renouvelait à époque fixe, comme celui des conductores. Leurs droits, comme leurs devoirs, ont été fixés par ce qu’ils appellent lex Hadriana ou forma perpétua, un règlement qui a été fait une fois pour toutes, et qu’on n’a pas modifié depuis près d’un siècle. Les coloni ne sont pas sous les ordres des conductores ; ils leur doivent seulement un certain nombre de prestations. À l’époque où le travail presse, où la main-d’œuvre est rare, il a été entendu que les coloni devront aider les ouvriers qu’emploie le conductor. C’était une cause de conflits perpétuels ; partout où les