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de faillites, troublaient encore quelquefois le cours ordinaire des échanges. Il y eut bien aussi quelques essais de groupemens de divers comptoirs en un seul magasin : des marchands bizoirs s’installèrent à Nevers en 1675 ; ils étaient, dit-on, simples merciers en arrivant, et depuis « ont fait des monopoles pour ruiner les autres marchands, qui ont été contraints de quitter leur négoce… S’ils n’étaient pas là, ajoutait-on, leur commerce donnerait de l’emploi à 200 habitans. » Ne croit-on pas lire, à la fin de notre siècle, le programme désolé de la « Ligue contre les grands magasins », où sont syndiqués les griefs de ceux que M. Zola a fortement personnalisés, dans son Bonheur des dames, en ce type du marchand de parapluies, champion épique du passé, enseveli sous les ruines de ses manches d’ombrelles ? Ces « bizoirs » de Nevers s’étaient, paraît-il, beaucoup enrichis ; ce qui ne contribuait pas peu à les rendre haïssables. Le privilège de tenir à Paris, pendant 20 ans, un magasin général pour la vente au détail de toutes marchandises fut obtenu sous Louis XV, par un banquier du nom de Kromm, qui distribuait des prospectus et des catalogues sur le modèle de ceux d’aujourd’hui. J’ignore ce qu’il advint de cette initiative qui disparut sans laisser de trace, comme ces puissantes associations de marchands, issues au moyen âge de la hanse teutonique, phalanstères de 2 ou 3 000 individus, qui renfermaient à la fois des boutiques d’étalages ; des hangars pour les marchandises ; et, pour les facteurs, — ainsi nommait-on jadis les commis, — des cuisines et des chambres à coucher.


II

Avec la liberté du commerce débutèrent, sous Napoléon Ier, les magasins de nouveautés actuels, ou plutôt les devanciers de ceux que nous voyons aujourd’hui ; car, de ces novateurs qui florissaient au temps où l’acteur Brunet incarnait le personnage de « Monsieur Calicot », récemment mis à la scène par Scribe et Dupin, dans le Combat des montagnes ; de ces maisons, fameuses en 1817, qui s’appelaient la Fille mal gardée, le Diable boiteux, le Masque de fer ou les Deux Magots, il ne subsiste plus une seule. Beaucoup de celles même qui les ont remplacées, sous Louis-Philippe, ont plus tard sombré, comme la Belle Fermière et la Chaussée d’Antin, ou liquidé médiocrement, comme le Coin de rue et le Pauvre Diable. Quoique les grands magasins, pris en bloc, aient réussi, il y eut donc, pour commencer, beaucoup de vaincus parmi ces vainqueurs. L’avenir en semblait encore si aléatoire, dans les premiers temps du second Empire, que le père de M. Deschamps, sollicité par son fils, qui venait de fonder la Ville de Paris, de lui