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III

Gouvernement monarchique à l’origine, puisqu’il était la propriété exclusive d’un seul homme, le Bon Marché est devenu une sorte de république, par le nombre et la qualité des détenteurs du capital, autant que par la forme du pouvoir exécutif, confié à un triumvirat dont les membres se renouvellent fréquemment. Les fonctions de M. Plassard, premier gérant en titre, ont pris fin l’année dernière ; celles de M. Morin se terminent cette année ; celles de M. Fillot l’an prochain. Ainsi l’autorité supérieure se renouvelle et la raison sociale change sans cesse ; la durée des pouvoirs du gérant nouveau, M. Ricois, nommé en 1893, est de cinq ans. Les personnes investies de cette dignité sont largement rémunérées. Seulement il ne paraît pas dans l’esprit de l’institution de les maintenir longtemps en jouissance de ce maréchalat de la nouveauté où l’on ne parvient qu’après avoir parcouru tous les échelons de la hiérarchie : M. Morin, fils de cultivateurs, a débuté petit commis au Bon Marché en 1856 ; chef de comptoir en 1868, administrateur en 1874, fondé de pouvoirs en 1880, il a été promu à la gérance en 1887. Ses collègues ont des états de service identiques.

Le même souci d’empêcher l’esprit de routine de pénétrer dans les rouages dirigeans de la machine a réglé le renouvellement du conseil d’administration. Les quinze membres de cet état-major, dont chacun dirige trois ou quatre rayons, sont tenus à cinquante ans révolus de résigner leurs fonctions et de céder la place à d’autres. Une organisation analogue se retrouve dans la plupart des magasins similaires, avec cette différence qu’administrateurs et gérans sont ailleurs les employés d’un patron, au lieu d’être, comme au Bon Marché, des mandataires élus par leurs pairs. C’est ainsi qu’au Louvre aucune parcelle du capital n’appartient au personnel exploitant, et que le directeur même, M. Honoré, ne possède pas le quart d’une action. Le Louvre a suivi, dans son histoire, une marche inverse à celle du Bon Marché. L’autorité effective y passa des financiers commanditaires aux mains du gérant à qui le magasin doit sa fortune, M. Auguste Hériot. Les actionnaires s’effaçant de plus en plus devant lui, il centralisa si fortement l’autorité qu’elle demeura telle, même sous les moins capables d’entre ses successeurs, et que l’absolutisme risqua ainsi de compromettre l’œuvre après l’avoir fondée.

Ce n’est pourtant pas à M. Hériot, c’est à M. Chauchard qu’appartient l’idée de la création du Louvre. Employé au Pauvre Diable en 1854, ce dernier passait chaque soir le long des constructions