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qui s’élevaient dans le prolongement récemment percé de la rue de Rivoli, — sur le terrain où Jeanne d’Arc, rendant Paris à la France, planta la bannière royale, — et rêvait de loger dans quelque coin de ces bâtisses un magasin de nouveautés. Mais comment M. Pereire, président de l’Immobilière, consentirait-il à traiter avec un commis sans surface ni autorité ? Les opérations d’édilité étaient alors dans l’enfance et, pour exciter les entrepreneurs, l’administration avait dû garantir au futur hôtel du Louvre l’exemption de tout impôt pendant trente années. Gréer un de ces hôtels spacieux, tels que Paris n’en possédait pas encore, avait été l’idée personnelle de Napoléon III : y joindre un magasin gigantesque devait sembler fort audacieux.

Le jeune Chauchard obtint, non sans peine, du puissant financier une audience qui lui parut d’abord ne pas devoir être longue ; M. Pereire le reçut debout, sans lui indiquer de siège. L’employé du Pauvre Diable comprit qu’il n’avait pas de temps à perdre et entra en matière avec chaleur. S’il ne réussit pas à convaincre son interlocuteur par l’exposé de ses plans d’avenir, il obtint du moins la promesse d’un bail avantageux pour l’ensemble des boutiques situées à l’angle des rues Saint-Honoré et Marengo. Le même soir, il confiait tout soucieux à son barbier, qui était un peu son ami, les difficultés que semblait devoir rencontrer encore la réalisation de ses projets. — Il lui faudrait un associé capable. — J’ai votre affaire, dit le Figaro, et le lendemain il mettait Chauchard en relation avec Hériot, « premier aux soies » à la Ville de Paris. Malheureusement, si Chauchard n’avait pas grand’chose, — une quarantaine de mille francs, — à mettre dans la future maison de commerce, Hériot, fils d’un petit marchand de vin de Saint-Mandé, n’avait rien du tout. Tous deux se mirent en quête d’un troisième associé apportant des fonds et décidèrent M. Faret, propriétaire de la Belle Française, faubourg Montmartre, à se joindre à eux avec une somme ronde de 100 000 francs. L’acte d’association fut ébauché dans un café du quartier, où Hériot se fit attendre une heure et demie, n’osant s’absenter de son magasin sans permission, de peur d’être remercié avant que sa nouvelle situation ne fût devenue définitive. Entre temps, l’hôtel du Louvre, dont les travaux étaient poussés activement en vue de l’Exposition de 1855, s’achevait. Pour la première fois les entrepreneurs avaient eu recours à la lumière électrique afin de doubler le labeur de jour ; des retards inopinés s’étaient produits ; on sortait de la grève fameuse des charpentiers, qui tua la charpente en bois à Paris : aussi le Louvre offre-t-il cette particularité assez rare de marier dans sa structure les pans de bois des vieilles maisons aux planchers en fer des constructions modernes. Enfin, le 9 juillet 1855