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MM. Faret, Chauchard et Hériot informaient les dames qu’ils venaient d’ouvrir à l’enseigne du Louvre un magasin de nouveautés. Mais l’appel fut si peu entendu, que, lorsque au bout de douze mois les trois associés firent leurs comptes, ils se trouvèrent en présence de 1 500 francs de bénéfices à partager.

M. Faret, là-dessus, prit peur, et retira ses 100 000 francs. Il fut remplacé par un marchand de soieries, M. Payen, qui, n’osant pas risquer son argent dans une commandite aussi hasardeuse, consentit seulement à prêter une somme égale à la mise de M. Faret. MM. Chauchard et Hériot continuèrent seuls, et cette fois avec assez de chance pour que le Conseil de l’Immobilière se décidât à former avec eux une société au capital de 1 100 000 francs divisés en parts de 5 000 francs chacune. Les bénéfices devaient être partagés entre les commanditaires et les gérans. Ces derniers, pour rassurer les bailleurs de fonds, stipulèrent qu’il serait prélevé avant tout partage un intérêt de 5 pour 100. Tant que les gains ne dépasseraient pas la somme nécessaire pour y faire face, les gérans se contenteraient d’un traitement de 500 francs par mois. Ce fut, pendant plusieurs années, ce qui arriva, soit que les affaires fussent effectivement médiocres, soit plutôt que M. Hériot, qui dirigeait presque seul le magasin, affectât les excédens de recettes à l’extension indéfinie des comptoirs. Cependant beaucoup d’actionnaires se lassaient ; parmi ces découragés de la première heure, on est surpris de rencontrer de hardis financiers tels que M. Fould. L’enthousiasme des porteurs de parts se refroidit même au point que plusieurs d’entre eux préférèrent réaliser à perte, et que les titres tombèrent de 5 000 francs à 2 500. Tel capitaliste plus avisé racheta alors à moitié prix une douzaine de ces actions, dont chacune a rapporté l’année dernière 19 000 francs, à peu près 400 pour 100 de sa valeur d’émission. Cette valeur s’accrut lentement ; et, en 1878 encore, la duchesse de Galliera, propriétaire d’un certain nombre de parts, ne faisait aucune difficulté de les céder, pour 5 000 francs chacune, à M. Auguste Hériot.

Mais si les dividendes distribués demeuraient presque nuls, les bénéfices n’en étaient pas moins notables. Le magasin les engloutissait au fur et à mesure qu’ils se produisaient ; et la valeur du fonds social grossissait sans cesse : elle peut être évaluée aujourd’hui à 50 millions. Cette somme de 50 millions, issue des 1 100 000 francs de l’origine, est le résultat de 25 années de succès et surtout d’épargne. La génération des fondateurs a semé plus qu’elle n’a récolté. La vogue, vogue immense et triomphale de l’heure actuelle, est assez récente. Quoique le Louvre, aujourd’hui dépassé par le Bon Marché, ait atteint le premier ce chiffre longtemps rêvé de 100 millions, on était loin d’espérer un pareil