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La bête noire de la nouveauté contemporaine c’est le « rossignol », le « garde-boutique » comme disaient les merciers sous Louis XIV. Seulement l’ancien négoce ne se décidait jamais à ces baisses régulières, à cette hécatombe formidable des marchandises. Le renouvellement fréquent du capital est au contraire un des fondemens du nouveau système. Selon le mot du directeur du Louvre, il faut revoir sans cesse son argent. Cet argent, bien entendu, ne repasse pas dans tous les comptoirs avec la même fréquence ; des buffets de 3 000 francs ne se vendent pas aussi couramment que des parapluies de 10 francs. Mais, s’ils tournent à l’inamovibilité, on les solde sans plus de cérémonie qu’un chapeau de paille. Un art de la nouveauté a été de tirer habilement parti de cette perte, de transformer en amorce ces articles qu’il faut expulser à tout prix, ces « talons » de pièces qui ne valent plus que le poids du chiffon, et que le public s’arrache à 22 sous parce que l’étoffe a valu 12 francs le mètre à l’origine.

Tous les soldes aussi ne constituent pas une perte pour le grand magasin : en position d’être bien renseigné sur les faillites, les liquidations judiciaires, les stocks de marchandises aux abois, il profite très légitimement de ces aubaines. Tantôt ces soldes, sur lesquels il gagne, lui servent à balancer les siens propres, toujours onéreux ; tantôt il y trouve une réclame gratuite. M. Jaluzot écoula en quelques semaines à vil prix un lot énorme de fleurs artificielles qu’il avait eu lui-même pour peu de chose. On conte encore qu’un fabricant, désireux de se venger d’une maison de soieries de la capitale qui, après lui avoir commandé 400 pièces d’un tissu de valeur, n’avait consenti à en prendre que 100, céda les 300 autres à la concurrence, pour le tiers de leur prix, en lui faisant promettre de les vendre à son tour sans bénéfice. Ainsi l’article était « tué », et l’acheteur des 100 premières pièces ne pourrait les écouler qu’avec grande perte. On voit qu’il y a un peu de tout dans les soldes, voire des rancunes à satisfaire.

Mais l’évacuation de la marchandise dépréciée s’opère avec la même loyauté que la vente de la marchandise nouvelle. Le prix se modifie, mais il est toujours indiqué à l’acheteur en chiffres connus. Chacun a vu, chez les marchands qui persistent dans cet usage naguère universel, ces étiquettes cabalistiques que les initiés seuls peuvent traduire. À qui demande la raison de ces marques conventionnelles, il est répondu qu’un acheteur peut être amené par un commissionnaire, auquel il faut ménager une remise en élevant le prix de vente, ce qui deviendrait impossible avec la marque en chiffres connus. La vérité est que ces hiéroglyphes chaperonnent une foule de « trucs » ingénieux, mais vieillis, qui conduisaient la mythologie à faire de Mercure le