On voit ainsi que, grâce à leur organisation, ces docks immenses possèdent à la fois l’aiguillon de l’individualisme et les forces de l’association. C’est un nouveau système mixte : le groupement du travail divisé, la division du travail groupé. L’achat d’abord, centralisé dans les mains uniques du chef de comptoir, même pour les simples réassortimens. Pour la vente, le particularisme poussé à sa dernière limite ; le commis semblable à un petit marchand gagnant peu sur tout ce qu’il vend, mais sûr de ne jamais vendre à perte. Lorsqu’il s’agit d’encaisser le montant de la vente et de livrer l’article, ce double office incombe à la mécanique collective qui paie et qui reçoit l’argent, accueille et livre les marchandises. L’idéal, pour ces rouages, est d’obtenir au moindre prix le fonctionnement le plus rapide. Le nombre des colis expédiés annuellement par le Bon Marché en province est d’un million ; celui des paquets livrés dans Paris est de 4 millions par an, et cependant la moitié des cliens de Paris emportent eux-mêmes leurs paquets. On arrive ainsi au total de 7 millions de ventes, — chacune d’elles en moyenne représentant une vingtaine de francs. — Le chiffre des articles débités est peut-être double ou triple de celui des ventes, parce qu’une facture comprend en général plusieurs objets. Ce dernier chiffre du reste, le magasin ne le connaît pas ; il fait aussi peu de statistique que possible, elle lui coûterait trop cher. Tout ce qui n’est pas indispensable en ce genre est à ses yeux superflu.
La Belle Jardinière est seule, parmi les grandes maisons, à pratiquer une comptabilité-matières assez détaillée. Non seulement elle sait que sa vente de l’an dernier a été de 180 000 gilets, de 280 000 pantalons et de 300 000 vestons ou paletots, mais chaque article, fût-ce une cravate de 50 centimes, y porte un numéro d’ordre qui permet, en se reportant de registre en registre, de savoir à quelle époque il a été confectionné, par quel ouvrier, ainsi que le nom du fournisseur, le prix et la qualité des matières premières. Le Louvre, le Bon Marché et les autres se bornent à une comptabilité-espèces. Celle-ci exige déjà un personnel tellement nombreux qu’ils redoutent toute complication nouvelle. Chacun de ces journaux de caisse, où nous voyons inscrire avec une rapidité sténographique les ventes dont le commis fait l’appel, ne sert que de deux jours l’un. Chaque caissier par conséquent en a deux, qui lui sont remis alternativement. Le soir, il porte son livre de la journée au service du contrôle, et le matin, ce service lui rend, vérifié, son livre de l’avant-veille. Une journée sur deux