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La montagne s’élève. Des oliviers font sur les montagnes rocheuses des taches grises ; la végétation devient plus intense ; ce sont des tapis d’anémones, rouges comme des coquelicots, de grandes églantines blanches et roses, des iris nains qu’on dirait taillés dans de la gaze, des nids de cyclamens dans toutes les fentes des murs et des rochers ; les genêts en fleurs se mêlent aux oliviers et couvrent les coteaux de grandes plaques jaunes. Nous entrons dans un taillis touffu ; dans une petite clairière, au milieu des broussailles, une belle orchidée dresse sa tige rose. En face, le torrent s’est creusé un lit au fond des rochers à pic, troués de part en part de grottes profondes. On se figure Josué, poursuivant dans ces gorges les Philistins qui fuyaient, tandis que le ciel combattait pour les Hébreux, et que des pluies de pierres lancées par des mains invisibles tombaient des cavernes qui dominent, comme des mâchicoulis, le fond du ravin.

À partir de ce moment, nous continuons à nous élever, en contournant indéfiniment des montagnes désolées, où les assises de pierre sont séparées par de maigres bandes d’herbe. On dirait un long chemin de croix, bordé de fleurs, qui aboutirait à Jérusalem. Le contraste de la ruine matérielle et morale, avec cette végétation de fleurs brillantes, qui poussent au milieu des pierres, est saisissant :


Même au sein des ruines
La vigne et l’olivier étendront leurs racines.


Voici, dans un vallon, des arbres fruitiers couverts de fleurs ; des champs de vignes rampantes, séparés de temps en temps par une tour en pierre sèche, s’étagent sur les coteaux. À mi-côte, une route bordée d’un mur de pierres descend à un puits, qu’un vieil arbre tordu indique au regard. Un cavalier arabe y fait boire son cheval. Le temps s’est refroidi, le ciel est gris ; on aperçoit des villages sur la crête des collines.

Enfin, voici la gare de Jérusalem, aussi misérable que le reste de la ligne. Nous partons à fond de train dans une grande berline jaune. Au sortir de la gare, un spectacle grandiose nous attendait. Jérusalem nous apparaît tout d’un coup, dans toute sa majesté. En face de nous, de l’autre côté de la vallée étroite que nous descendons au galop, se dresse son grand mur à créneaux qui s’abaisse par étages jusque dans la vallée de Hinnom ; en haut, la tour de David et la porte par où nous devions entrer. Nous arrivons à la voûte, qui forme un coude, comme dans beaucoup de villes fortifiées du moyen âge. L’encombrement des mulets et des piétons qui entrent et qui sortent nous oblige à nous arrêter un instant. Droit devant nous, à gauche de la voûte, se dessine