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la forme haute d’une porte murée, où ceux qui avaient quelque sujet de plainte venaient s’asseoir pour réclamer leur droit. Deux affiches de l’agence Cook et d’une agence rivale s’étalent sur le mur, juste au-dessus du banc de la Justice.

Le Grand New Hôtel, où nous sommes descendus, est un hôtel vieux style ; l’entrée en est sombre, et le bas occupé par des marchands de photographies et d’objets de sainteté. C’est la situation qui en fait le charme. Il est à l’entrée de la ville, et, de nos fenêtres, nous voyons la porte de Jaffa, avec son mouvement de perpétuel va-et-vient. Toute la circulation de la ville passe par là. Pas de voitures : elles ne pénètrent pas dans Jérusalem, dont les rues sont toutes en escaliers ; celles qui s’aventurent le plus loin s’arrêtent à la porte de l’hôtel ; mais c’est un fourmillement de bêtes de somme, d’hommes et de femmes aux types les plus divers, qui se croisent, s’arrêtent, se rencontrent, se fondent en groupes de l’aspect le plus inattendu. On voit sortir de grands juifs maigres, avec leurs chapeaux de feutre noir et leur longue lévite étriquée, escortés de leur famille ; d’autres portant le bonnet de fourrure ; tous sont reconnaissables aux deux longues mèches de cheveux, bouclées en tire-bouchon, qui tombent sur leurs tempes ; puis, ce sont des pèlerins de tous les pays, des Arméniens, des Russes aux lourdes bottes et à la jupe plissée ; des femmes musulmanes, empaquetées dans leur long voile blanc, sur lequel la gaze qui leur cache la figure fait une tache noire ou rose ; des Arabes, qui marchent lentement en regardant autour d’eux, et toute la foule des hommes à tarbouch, qui passent, s’arrêtent chez les marchands de fruits secs et de glaces, s’écartent pour laisser passer des files de chameaux qui débouchent de la porte, en promenant lourdement de gauche à droite leur grosse tête sauvage.

En face de nous, se dressent le mur de la citadelle et la tour d’Hippicus, surmontée du croissant. Par l’embrasure d’un de ses créneaux, on aperçoit la bouche d’un canon. Soudain, à sept heures, le canon tonne et fait trembler nos vitres ; après le premier coup, un second, puis un troisième, puis toute une salve, que l’on tire pour fêter la fin du ramadan. C’est demain Baïram : le gouverneur doit recevoir en grande pompe la visite officielle de toutes les autorités de Jérusalem.

Quand nous avons fini de dîner, il est nuit. Nous sortons à la découverte dans la ville. Nous descendons en face de nous une rue noire, éclairée de loin en loin par un réverbère qui fait mieux ressortir la profondeur de l’obscurité. La rue est pavée de grandes dalles glissantes en escalier. C’est une succession de longues ogives sombres, entre lesquelles on voit briller la lueur rougeâtre