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entre les diverses églises, des compétitions et des luttes dans lesquelles les Turcs jouent le rôle de pacificateurs. Quelques jours avant notre arrivée, la chapelle de la crèche, à Bethléem, avait été le théâtre d’une rixe sanglante entre Latins et Grecs, où il y avait eu un mort et plusieurs blessés, et, quand nous avons été la visiter, elle était gardée par un soldat turc en armes, tandis qu’à côté de la chapelle, un prêtre grec regardait d’un œil mauvais le brave père cuisinier du couvent franciscain qui nous avait accompagnés. Aussi était-ce un spectacle curieux, presque unique, de voir défiler devant le pacha de Jérusalem, dans toute la pompe de leurs habits sacerdotaux, les évêques, les patriarches, les plus hauts représentans de toutes ces églises qui se sont donné rendez-vous sur ce petit coin de terre.

L’invitation du gouverneur nous était parvenue tandis que nous étions au Saint-Sépulcre. Nous nous empressons de nous y rendre, et nous nous mettons en route, précédés de notre drogman, qui nous fraie un passage à travers la foule, en écartant de sa canne ceux qui ne se dérangent pas assez vite. Nous traversons un dédale de petites rues, nous passons devant le Saint-Sépulcre, et nous arrivons au palais. La rue, étroite comme toutes les rues de Jérusalem, s’élargit un peu en cet endroit, et est inondée de lumière. Un grand mur blanc avec une porte au milieu, c’est le Séraï. Il est couronné, sur toute sa longueur, de toilettes aux couleurs vives, de robes roses, bleues, jaunes ; d’enfans, d’hommes assis les jambes pendantes, de têtes de femmes qui se penchent pour mieux voir. L’arche qui est lancée par-dessus la rue à cet endroit est aussi surchargée de gens qui regardent ; sur les toits, sur les escaliers, en haut, en bas, partout du monde, et tout cela resplendit au soleil.

Sous la voûte, la garde porte les armes ; dans la cour, la musique joue. On gravit un escalier en plein air, adossé au mur de la rue, et on arrive à la terrasse qui entoure la cour des quatre côtés. À nos pieds, une foule bariolée se mêle à la musique militaire ; sur la terrasse, une double haie de curieux. On ne dirait pas que l’on soit dans la maison d’un gouverneur ; chacun y pénètre comme il veut ; en temps ordinaire, on arrive directement jusqu’à lui. Ce sont les mœurs de l’Orient. Il y a dans les relations des grands avec les plus humbles une liberté qui tient des habitudes patriarcales, une sorte de familiarité, qui s’allie très bien avec l’autorité du pouvoir absolu, et qui fait du pauvre l’égal de celui auquel il vient demander justice. Au premier rang, une dame anglaise prend des « instantanés » à la porte même du gouverneur ; la politesse des Turcs est si grande qu’on ne lui dit rien : cela frappe pourtant, et, dans la conversation, l’aide de camp du pacha