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m’en a fait la remarque, en la soulignant d’une nuance d’étonnement à peine sensible.

Devant nous s’ouvre un passage libre qui mène à la porte des appartemens du pacha. Nous sommes reçus par un officier qui nous introduit dans un grand salon de réception. Le gouverneur est assis au fond de la pièce sur un fauteuil. Tout autour, des sièges et des canapés sur lesquels prennent place les visiteurs. Il se lève, vient à notre rencontre, nous offre la main, et nous fait asseoir sur un canapé, à ses côtés. « Vous arrivez, nous dit-il, juste à point pour assister au défilé des religions ; » et il nous invite à rester jusqu’à la fin de la cérémonie. On apporte de l’eau et des dragées ; le pacha nous explique que c’est le « cadeau du sucre », un des accompagnemens indispensables de la fête du Baïram ; puis on passe le café et les cigarettes. Le pacha nous en offre des siennes, et nous restons ainsi près d’une heure, tantôt à causer, tantôt à ne rien dire, en regardant défiler les autorités ecclésiastiques de Jérusalem, que le pacha nous présente au passage, à mesure qu’elles entrent.

Chaque fois qu’un nouveau personnage arrive, c’est le même cérémonial. Le pacha le fait asseoir plus près ou plus loin de lui, suivant son rang et sa dignité, et la conversation reprend sur le même ton. C’est d’abord le patriarche grec, vêtu d’un costume éclatant, ainsi que les prêtres qui l’accompagnent. Nous l’avons vu, il y a un moment, avec tout son clergé, descendre les rues de Jérusalem, se rendant au Séraï. Il était précédé de deux prêtres qui portaient ses insignes, et s’avançait, dans ses habits sacerdotaux, la robe couverte de croix et de décorations, s’appuyant sur sa grande canne à pommeau d’argent, qui résonnait sur le pavé du bazar. C’est maintenant au tour du patriarche arménien, qui rivalise d’éclat avec lui ; puis, c’est l’évêque syriaque de Jérusalem ; puis le patriarche copte, qui paraît pauvre à côté d’eux, sous sa robe et sa mitre noires. On dirait un prêtre des anciens temps. Quand il entre, le pacha se tourne vers nous et dit avec un sourire : « Vous voyez, nous en avons de toutes les couleurs. »

En le voyant, je pensais à une scène à laquelle j’avais assisté, quelques momens auparavant, au Saint-Sépulcre. Les Arméniens officiaient à l’autel en promenant à grand bruit leurs chasubles d’un vert éclatant surchargées de lourdes broderies d’or ; ils changeaient de costume, mettaient et ôtaient des tiares étincelantes de pierres précieuses, tandis que des diacres agitaient les grands chapeaux chinois dorés qui leur tiennent lieu de sonnettes, et remplissaient l’église de la fumée de leur encens et du bruit de leurs cuivres. En face, la foule se pressait déjà contre les grilles d’une grande chapelle, éclairée par la lumière des cierges et par les feux