Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agricole ont été stériles, que la science est impuissante, ses conseils vains, ses enseignemens inutiles ?

Avant de renoncer aux espérances qu’ont fait concevoir les travaux des agronomes, il convient de chercher quelles sont les causes de la crise actuelle. La principale est sans contredit la baisse de prix des denrées agricoles ; la crise est d’ordre économique. On désigne sous le nom de « produit brut » la somme réalisée par la vente des denrées récoltées ; et en rapportant le produit à une mesure commune, l’hectare par exemple, on possède une unité qui permet la comparaison des domaines les uns aux autres. Le produit brut s’obtient en multipliant le poids des marchandises récoltées par les prix auquel ces marchandises sont livrées. Un vigneron de l’Hérault qui obtient 100 hectolitres de vin commun à 15 francs l’hectolitre fait 1 500 francs de produit brut ; un propriétaire du Médoc ne récolte que 30 hectolitres de vin, mais il vend 50 francs l’hectolitre, il a encore 1 500 francs de produit brut. Le gain, le bénéfice, ou encore le produit net, — ces expressions s’équivalent, — s’obtient en défalquant du produit brut les dépenses de toutes sortes auxquelles donne lieu ce produit. Un cultivateur de betteraves obtient 30 000 kilos de racines à l’hectare ; il les vend 25 francs les 1 000 kilos à la sucrerie voisine : son produit brut est de 750 francs. Si l’ensemble des dépenses qui incombent à l’hectare, — c’est-à-dire le prix du loyer à payer au propriétaire, les factures des marchands d’engrais et de semences, les journées des ouvriers qui ont biné à plusieurs reprises les racines, qui les ont arrachées, conduites à la sucrerie, — ne représente que 600 francs, ce cultivateur aura un bénéfice de 150 francs, différence entre 750 francs : produit brut et 600 francs : dépenses ; mais si les dépenses, au lieu d’être de 600 francs, se sont montées à 800 francs, elles dépassent le produit brut : l’opération se solde en perte. Un fermier éloigné d’un grand centre de consommation et qui ne peut vendre sa paille n’a comme produit brut d’une culture de blé que la vente du grain ; il a obtenu à l’hectare 20 quintaux : en multipliant par le prix de vente du quintal, il trouvera le produit réalisé par sa culture ; or ce prix de vente du quintal de blé, naguère à 30 francs, est tombé à 25, puis à 21 francs : c’est à peu près le prix actuel. Aujourd’hui cette récolte de 20 quintaux, bien supérieure à la moyenne de la France, ne représente donc que 420 francs : or les dépenses de culture d’un hectare dépassent parfois ces 420 francs, de telle sorte, que loin d’obtenir de son travail une juste rémunération, le cultivateur est obligé de prélever sur son capital, et il se ruinerait en continuant d’exploiter dans de pareilles conditions.