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plus loin et plus directement vers la vérité que les méditatifs mûris par une étude analytique aussi prolongée que sa propre existence. » Des érudits connus pour avoir pâli sur de vieux textes et déchiffré les inscriptions des pierres d’autrefois hésitent dans leurs conclusions et se bornent à des hypothèses. L’érudition de M. Edmond Barthélémy ne connaît pas ces timidités. « Rome, Byzance, Thèbes, lui sont familières, et ne disait-il pas un jour que, s’il était tout à coup transporté à Constantinople, il s’y promènerait sans s’égarer, rien qu’en se souvenant des plans de Byzance qu’il sait par cœur ? » M. Pierre Louys a traduit Méléagre ; M. Rémy de Gourmont sait du latin. Philosophes par instinct et savans par divination, ils ont surtout, cela va sans dire, reçu par droit de naissance et complexion naturelle tous les dons proprement littéraires. Du premier coup et sans y tâcher, ils égalent les meilleurs écrivains ; ou plutôt, n’ayant voulu que les égaler, ils les dépassent. Les amis de M. Albert Samain « savent de lui des poèmes qui ont la rigide perfection de ceux de M. Leconte de Lisle, et ils en savent qui ont la beauté plastique de ceux de M. J.-M. de Heredia. » Jeux d’enfant que cela, simples essais et qu’on ne daigne pas tirer du cahier de brouillons ! M. Paul Espéron « rappelle le Coppée des Intimités et le Sully-Prudhomme des Vaines tendresses, mais avec, dans l’inspiration, plus de spontanéité et de fraîcheur ingénue. » Ronsard aurait signé les vers de M. Raymond de la Tailhède. M. Jean Moréas a retrouvé le chant pur des ancêtres. M. Maurice du Plessys a reconquis le style plein et vigoureux de Malherbe. M. Louis Le Cardonnel a la période de Bossuet. M. Charles Maurras « a la façon d’écrire — encore que rajeunie avec un sens exquis du moderne — du La Fontaine des Amours de Psyché, du Fontenelle des Dialogues des morts. » Le plus étonnant, incontestablement, est M. Marc Legrand. Ce poète est en même temps et comme tout le monde chroniqueur dans un journal. Mais il dispose, pour écrire ses chroniques, d’un moyen qui n’appartient qu’à lui. « Courant à son journal dire son opinion des menus faits de son temps, il y est poursuivi, clopin-clopant, par ce vieux charmant crampon de La Fontaine, à qui, ma foi, à bout de patience, il se résout à passer la plume dans la salle de rédaction : « Eh ! allez « donc, bonhomme ! oyez ce qu’on crie dans la rue et tirez-vous de ceci. » Allez donc parler des difficultés du métier à des gens qui peuvent, aux heures de lassitude et les jours où ils se négligent, écrire comme ce vieux crampon de La Fontaine !

Cependant ils font de beaux rêves et nourrissent de vastes projets. M. Adrien Remacle dans sa tête porte un monde. Ce n’est rien de moins qu’un monde ce que porte dans sa tête M. Adrien Remacle. M. Gabriel Randon à ses « madrigaux torrentiels » en voudra sans doute ajouter d’autres qui ne seront pas moins impétueux. M. François Coulon a