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trouvé la formule du théâtre de demain qui est, pour l’appeler par son nom : l’idéo-réalisme. Ils préparent qui une idéologie, qui « un drame à valeur d’éthopée « .Quelques-uns sont, dès maintenant, absorbés par des occupations dont nous ne pouvons même nous faire une idée, faute d’avoir jamais rencontré rien d’analogue. Pour un qui « très en puissance de s’abnégatiser et capable de sortir victorieux de l’ascèse magique, a préféré œuvrer d’art », nous en citerions dix autres qui tout au rebours s’abstraient en des travaux mystérieux. C’est, par exemple, l’Allemand Hauptmann. « Il pioche et déterre le vrai, par delà l’écorce de fer des contraires, au centre de Zola et d’Ibsen, l’amande joyau de l’idéalisme et de l’Anarchie. » Je vous laisse à penser si une telle opération peut être simple. Pour ce qui est de M. Edmond Coutances, son œuvre personnelle est « la mise en action d’un levier qui a mission de fournir sa part de force à l’éternel monument humain. Une des pierres les plus difficiles à soulever pour lui, soit par la place qu’elle occupe, soit par sa structure propre, semble être la Femme. » Il est exact que de tout temps la structure propre de la femme a influé sur la destinée de celle-ci. Mais on ne s’était pas encore avisé de soulever la femme avec un levier. Il faudra voir ce que produira ce système nouveau.

On comprend maintenant pourquoi tout à l’heure nous nous refusions à discuter même le mérite et les idées des écrivains du prochain siècle. Les intérêts engagés sont trop considérables. On nous apprend que dans l’Art littéraire « depuis un an déjà M. Lormel préside à l’éclosion des probables aèdes ». Ne dérangeons pas cette éclosion !

Le prochain siècle s’annonce comme devant être particulièrement riche en grands esprits. Il nous a été doux d’en saluer l’aurore. Nous permettra-t-on, en terminant, d’exprimer une inquiétude ? Sans doute tous ces jeunes gens ont cette foi en eux-mêmes qui est la condition nécessaire à l’accomplissement des belles choses. Néanmoins on constate chez plusieurs une tendance qui, s’ils n’y prennent garde, pourrait devenir fâcheuse. À la veille de remporter de glorieux succès, à peine est-ce s’ils semblent y tenir. Ils témoignent d’une sorte d’indifférence à leurs propres intérêts, d’une nonchalance transcendante, d’une négligence déjà comme lassée. « Edmond Cousturier ne consent à écrire que dans de rares occasions. » « Raymond de la Tailhède s’est retiré dans son château de Marmande, écrivant pour lui seul, plus heureux de vivre avec les poètes de la Pléiade et son cher Cervantès qu’avec ses grossiers contemporains. » D’autres, qui ne possèdent pas de château dans Marmande, ont du moins leur tour d’ivoire ; ils s’y enferment. C’est ce mouvement de désertion anticipée qu’il nous semble urgent d’enrayer. Certes, nous ne prétendons nier ni la grossièreté de nos contemporains, ni la nôtre. Nous ne méritons pas les fêtes qu’on nous prépare. Mais s’ils ne nous doivent rien, les futurs écrivains ont