Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’en faire une au Palais-Bourbon par son talent et son caractère. Les radicaux lui opposaient un candidat d’autant plus redoutable qu’il n’est pas positivement radical, bien qu’il appartienne à une fraction assez avancée de la Chambre, M. Dupuy-Dutemps. M. Clausel de Coussergues a été élu.

Quelle que soit l’importance de ces incidens, elle est d’ordre secondaire : il n’en est pas de même de celle qui s’attache au message présidentiel. Ce message était impatiemment attendu par tout le monde, et, s’il a rempli l’espérance des uns, il faut bien reconnaître qu’il a trompé celle des autres, car les radicaux n’ont rien trouvé à y reprendre, et ils ont mieux aimé en parler le moins possible. Est-ce à dire que M. Casimir-Perier ait fait une œuvre insignifiante, ou qu’il ait atténué l’expression de sa pensée ? Non, assurément : son message a eu dans toute la France et au dehors un retentissement trop grand pour qu’on puisse en méconnaître la portée. « Je ne suis pas l’homme d’un parti, déclare le nouveau président : j’appartiens à la France et à la République. » Mais dans quelles conditions leur appartient-il, et comment comprend-il l’exercice de sa fonction constitutionnelle ? Il y a dans le message, sur ce point particulier, un paragraphe qui a frappé et fixé les esprits : « Résolu, dit M. Casimir-Perier, à développer les mœurs nécessaires à une démocratie républicaine, c’est en d’autres mains que j’ai le ferme dessein de remettre dans sept ans les destinées de la France. Aussi longtemps qu’elles me seront confiées, respectueux de la volonté nationale et pénétré du sentiment de ma responsabilité, j’aurai le devoir de ne laisser ni méconnaître ni prescrire les droits que la Constitution me confère. »

Lorsque cette partie du message a été lue devant les Chambres, elle a été accueillie par des applaudissemens. Quelques personnes se sont demandé, toutefois, s’il était prudent de prendre, à sept années d’intervalle, l’engagement de ne pas solhciter le renouvellement de son mandat. On sait que la Constitution de 1875 rend le président de la République rééligible. Elle a bien fait d’inscrire dans un de ses articles la possibilité de cette réélection, mais à la condition de n’en user que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Il est évident que si, le jour où le mandat présidentiel arrive à son terme, le pays se trouvait engagé dans des complications intérieures, et surtout extérieures, qui exigeraient la plus grande stabilité possible à la tête du pouvoir exécutif, un président patriote devrait se laisser réélire, sauf à donner sa démission aussitôt que les circonstances qui lui auraient imposé cette obligation n’existeraient plus. Mais ce sont là des cas tout à fait rares, et, si la faculté de réélection a été mise dans nos lois constitutionnelles comme une soupape de sûreté, il ne faut en jouer que lorsque la sûreté générale l’exige, en effet, d’une manière impérieuse. Pourquoi ? Parce que nous sommes en république, et que la permanence