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cardinaux, au sens moderne du mot. À mesure que s’affirmera le caractère universel de la papauté, que le pape surgira de l’évêque de Rome, les termes et les choses se renverseront. On élira moins l’évêque de Rome que le pape, pontife universel, et l’on ne dira plus : les évêques cardinaux, les prêtres cardinaux, les diacres cardinaux, mais, à l’opposé : les cardinaux évêques, prêtres ou diacres. Les membres du Sacré-Collège n’en seront plus membres, ne seront plus cardinaux à raison de leur qualité d’évêques suburbicaires, de prêtres titulaires, de diacres principaux des églises de Rome ; c’est à raison de leur qualité de cardinaux que, la fiction chassant la réalité, ils seront rattachés comme évêques, prêtres ou diacres, aux sièges suburbicaires et aux églises de Rome. Le titre ne conférera plus la dignité ; c’est la dignité qui conférera le titre. Le titulaire pourra ne plus avoir avec le titre aucun lien réel et permanent. La papauté s’internationalisera, se supranationalisera, et, comme elle, le Sacré-Collège devra s’internationaliser. — On aperçoit la transition et comment le Sacré-Collège cesse d’être une institution purement romaine, devient universel en même temps que la papauté, et comment, cessant d’être une hiérarchie exclusivement religieuse, il devient, sous un de ses aspects, un corps politique, un facteur, — et un facteur très important, — de la politique internationale.

C’est le pape Nicolas II qui, vers le milieu du XIe siècle, en 1059, et sous l’inspiration du célèbre Hildebrand, le futur Grégoire VII, donna le premier à l’élection des papes cette forme de droit qui ne lui avait que trop fait défaut jusqu’alors, et détermina un peu mieux qu’elles ne l’avaient encore été les conditions requises pour être électeur et pour être élu : « À la mort du pontife de cette église romaine universelle, prescrit-il, que tout d’abord les cardinaux évêques traitent ensemble avec le plus grand soin de l’élection de son successeur, puis qu’ils s’adjoignent bientôt les clercs cardinaux du Christ, et alors que le reste du clergé et le peuple accèdent par consentement à la nouvelle élection[1]. »

Il semble que les cardinaux évêques aient, dans l’espèce, le rôle vraiment actif ou qu’ils aient, en tout cas, sur les autres cardinaux, les cardinaux clercs (prêtres et diacres), une prépondérance effective.

Cette prépondérance, vestige d’un privilège déjà ancien et de l’ancien mode d’élection des évêques par cooptation, les cardinaux évêques la conservèrent pendant un siècle encore, jusqu’à la

  1. Une ou deux lignes plus bas, Nicolas II le dit formellement : « Qu’ils soient les guides, les chefs, les éclaireurs (prœduces) pour promouvoir l’élection du Pape, et que les autres les suivent. »