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imberbe, aux yeux bleus très doux, aux longs cheveux blonds tombant sur les épaules ; une petite canne lui sert à dissimuler sa boiterie. Les sociétaires le contemplent, répriment à peine un sourire. Le jeune homme lit, et fit bien ; on s’étonne ; l’ouvrage plaît, il est reçu à l’unanimité. Contat, qui veut en avoir le cœur net, tend un piège à l’auteur, demande quelques changemens dans une scène du second acte : « Vos critiques sont justes, Madame, et dans deux ou trois jours je vous rapporterai la scène corrigée. — Deux ou trois jours ! C’est trop pour notre impatience et pour votre talent, Monsieur. Ne pourriez-vous exécuter ces légers changemens tout de suite ? — Madame, vous aurez la scène ce soir. — Pourquoi ce soir ? Pourquoi pas, comme je vous l’ai dit, tout de suite ? — Tout de suite ? — Sans doute : je meurs d’envie de lire cette scène refaite. Notre régisseur sera très heureux de vous prêter son cabinet. Vous y serez très tranquille, tout seul, car nous gardons Monsieur, ajoute-t-elle avec une grâce féline, en se tournant vers le précepteur… et dès que vous aurez fini… — Je ne demande pas mieux, Madame. » Une heure après la scène était refaite et améliorée. Il fallut bien admettre que le précepteur n’avait point écrit la tragédie : elle fut acclamée ; la reine donna le signal du succès, en embrassant Lemercier aux applaudissemens de la salle.

Du droit de sa beauté, de sa grâce et de ses succès, Louise Contat se croyait investie du privilège de patronner, d’imposer aux camarades, aux auteurs ses volontés. Toute jeune encore, elle affirmait très nettement sa personnalité charmante, — par la souplesse de son talent, par un mélange de sensibilité spirituelle et de profondeur, — mais assez envahissante ; et la maturité n’avait nullement tempéré cette ardeur de domination. Qu’elle joue les soubrettes ou les grandes coquettes, qu’elle trône au foyer de la Comédie ou dans son salon, il faut baisser pavillon, lui rendre les armes ; mais ses sujets chérissent leur servitude et elle les récompense par mille procédés charmans. Quelques-uns cependant refusent de plier, et de ce nombre fut Alexandre Duval. L’orage éclata au cours d’une représentation d’Édouard en Écosse, Contat voulait établira sa fantaisie la position d’une scène ; l’auteur résistait et faisait observer que cela dérangeait toutes ses combinaisons : de guerre lasse, il en appelle aux autres acteurs, qui gardent le silence, peu soucieux de contredire leur impérieuse camarade. Hors d’elle-même, celle-ci lui jette son rôle à la tête, en jurant ses grands dieux qu’elle ne jouera jamais dans aucune de ses pièces ; il le ramasse froidement, prend son manuscrit des mains des souffleurs, et sort en déclarant que la pièce ne sera jouée qu’autant qu’on lui permettra d’avoir quelquefois raison. Grande rumeur à la Comédie ! on dépêche