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à Duval des ambassadeurs : un mot de lui à Contat, et elle jouera la pièce comme il veut ; notre Breton s’entête, elle avait envie de son rôle et le pria de le lui renvoyer ; le lendemain une plaisanterie de sa part, un propos galant de l’auteur scellèrent la réconciliation. Plus tard il se l’aliéna tout à fait en osant offrir à Mme Talma un rôle sur lequel elle avait jeté son dévolu ; car elles sont aussi innombrables que les grains de sable du bord de la mer les brouilles, jalousies, rivalités enfantées au théâtre par ces compétitions ! Elles ont peut-être aussi leur importance dans l’histoire. Henri Heine, à propos des ballets de l’Opéra, établit de piquans rapprochemens entre les entrechats de danseuses aimées par des ambassadeurs, des hommes d’État, et les cabrioles de la politique. Les historiens des causes secondes découvriraient peut-être dans les archives intimes de la Comédie le secret de mainte affaire ; et, en tout cas, la connaissance profonde de tout ce qui se passe entre la coupe et les lèvres, entre la lecture d’une pièce et sa représentation, fournirait de précieux documens aux anatomistes du cœur humain.

Devenue Mme de Parny par son mariage avec le neveu du poète, Louise Contat ne songea plus qu’à rendre heureux sa famille et ses amis. Elle leur offrit un jour, au château d’Ivry, ou plutôt ils lui offrirent une fête originale, qui fait penser à celles qu’imaginait Collé pour le duc d’Orléans, mais avec je ne sais quoi d’imprévu, de spontané qui manque à celles-ci. Rassemblés à l’heure dite, membres de l’Académie française, généraux, personnages de la cour, femmes du monde, actrices renommées, prennent part aux danses rustiques, se mêlent dans le parc aux paysans endimanchés ; parmi ceux-ci se détache un couple que ses poses, sa grâce et sa légèreté désignent à l’attention. On fait cercle, on s’interroge, Louise s’avance à son tour, et reconnaît Chevigny et Beaupré de l’Opéra qui, à sa vue, redoublent de folies. Mais quoi ! Voici deux vieux grognards qui interrompent ces ébats ; ils se plaignent que la dame de céans débauche leurs filles, leurs garçons, et jouent si bien leur rôle, qu’on les saisit déjà au collet pour les expulser lorsque, riant de la méprise, Contat nomme Michot et Masson. Un peu plus loin s’escriment des chanteurs forains affublés de costumes grotesques. Kreutzer, directeur de l’Opéra, Salentin, Frédéric Duvernoy, Rode munis de leurs instrumens, Garat jouant du tambour de basque, Désaugiers vêtu en paillasse et battant la grosse caisse, se hissent sur des chaises, et, après un charivari de circonstance, annoncent qu’ils vont chanter le cantique de l’inimitable Louise ; alors Désaugiers frappe de sa baguette une immense toile peinte par