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guerre, puis plus rien… ; les années qui suivirent leur retour du Sud furent presque semblables pour chacun d’eux. Ils auraient pu être membres de la même famille tant ils connaissaient bien l’histoire les uns des autres. Assis sur un banc de bois à gauche de la porte, ils causaient, fort absorbés dans leur entretien, car le passage des gens qui entraient et sortaient (le bureau de poste était aussi dans le magasin de Barton) ne les interrompait pas ; ils se bornaient à un signe de tête.

La soirée était belle ; les deux grands ormes qui abritent la boutique du serrurier, de l’autre côté de la large route, portaient déjà presque la moitié de leurs feuilles. Plus loin se montraient deux petites maisons bâties à l’ancienne mode et la vieille église blanche avec son joli beffroi quadrangulaire surmonté d’un dôme en miniature. Le coq de la girouette indiquait le sud-ouest et il y avait encore assez de lumière pour qu’on vît briller bravement ce gros oiseau sur le bleu foncé du ciel. À l’ouest de la route, près du magasin, s’élevait la maison toute moderne du storekeeper ; son toit à la française et quelques tentatives d’ornement lui valaient d’être traitée d’ouvrage en pain d’épice, avec un mélange d’orgueil et d’ironie, par les plus anciens citoyens de Barlow.

Ces constructions diverses, le presbytère compris, formaient tout le petit village appelé Barlow Plains. Elles occupaient le milieu d’une longue bande étroite de terrain plat, dont les pâturages et les champs d’alentour faisaient une espèce d’île ; au delà, il y avait des collines, au delà encore la montagne qui, elle-même, semblait être tout près. Eparpillées sur les pentes apparaissaient des fermes, si distantes les unes des autres, avec leurs dépendances agglomérées, que chacune d’elles avait un air d’isolement ; les bois de pins, massés en haut, descendaient vers elles comme pour les assiéger toutes à la fois.

Il faisait plus clair sur les plateaux que dans la vallée, où les trois hommes, assis, tournaient le dos au couchant.

— Eh bien ! nous voilà quasiment en juin et mes haricots ne se décident pas à sortir de terre, dit Henry Merrill en se lamentait.

— Votre terre est toujours en retard, pas vrai ? Mais vous rattrapez les autres à la fin, répliqua Asa Brown pour le consoler. J’ai souvent remarqué que chez vous on avait beau planter tôt, ça poussait tard. Il y a bien une bonne semaine de différence avec mon champ à moi et celui de Stover ; mais que le 1er  juillet arrive et nous nous retrouvons tous au même point.

— C’est la vérité ! fit observer John Stover, retirant sa pipe de