Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à 15 ou 18 shellings par semaine, étaient payés on nature ; aujourd’hui ils dépassent une livre sterling et sont payés en espèces. C’est une augmentation de 50 pour 100, si l’on tient compte de la baisse des prix des denrées. Que peuvent devenir les malheureux fermiers, pris ainsi entre les impôts, l’avilissement des produits, l’appreciation de l’or, et renchérissement de la main-d’œuvre ?

IX

Un exemple particulier de l’état de misère où se trouve l’agriculture britannique : à quelques kilomètres de Londres commence le comté d’Essex dont les champs d’argile s’étendent jusqu’à la mer du Nord. C’est le dixième, pour l’étendue, des comtés d’Angleterre ; il embrasse un million d’acres, soit 400 000 hectares, et sur ce million d’acres, 830 000 environ sont cultivés. Cette superficie se divise elle-même en trois dixièmes de pâturages permanens et sept dixièmes de terres arables. Il y a dix ans, les terres en labour du comté d’Essex étaient, à l’égard des pâtures, dans la proportion de 74 à 26, et dix années encore auparavant, dans celle de 78 à 22, quand elles ne présentent plus aujourd’hui que celle de 70 à 30. De plus la culture des céréales représentait il y a vingt ans 60 pour 100 de la superficie cultivée ; la proportion est descendue à 45 pour 100 en 1883, à 40 pour 100 en 1893. Le pourcentage du blé pendant la même période a reculé de 23 à 19, puis à 14 pour 100. En d’autres termes, les pâturages permanens qui ne composaient en 1873 qu’un peu plus du cinquième de la surface cultivée, en forment aujourd’hui presque le tiers, et le blé, qui couvrait alors presque un quart de la surface cultivée, n’en occupe plus que le septième.

La baisse des prix n’est qu’une des manifestations de cette déchéance ; l’affaiblissement du rendement en est une autre non moins caractéristique. Le rendement du blé était de 31 bushels par acre (soit 28 hectolitres par hectare) ; il n’était déjà plus que de 20 en 1883, et il n’a pas atteint 23 en 1893. De même le rendement de l’orge a fléchi de 37 à 23, celui de l’avoine de 48 à 30, celui des fèves de 32 à 15, celui des pois de 31 à 21.

Tel est l’état des choses dans un comté qui représente le quinzième de toute la superficie cultivée en blé en Angleterre, le dix-septième de la superficie en orge, le dixième de la superficie en fèves, le huitième de la superficie en pois.

L’histoire de l’agriculture dans le comté d’Essex, depuis dix années, est celle d’une lutte sans espoir contre l’adversité. Il y a