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questions et de ces interpellations qui lui prenaient la meilleure part de son temps : que va-t-il faire ? Rien ne le gêne plus pour agir, et jamais la nécessité d’une action énergique et coordonnée n’a été plus grande qu’en ce moment.


La guerre a-t-elle éclaté entre la Chine et le Japon ? On ne le sait pas encore d’une manière certaine. Il y a eu des actes d’hostilité, et quelques-uns ont même eu un caractère grave, puisqu’un navire chinois qui portait quinze cents hommes en Corée a été coulé par les Japonais ; mais, en extrême Orient, ces choses n’ont pas la même importance qu’en Occident, et on ne désespère pas encore de maintenir la paix, ou de la rétablir. L’Angleterre, en particulier, s’y emploie avec beaucoup d’ardeur, sans qu’on puisse prévoir si la pression qu’elle exerce sur le gouvernement chinois et sur le gouvernement japonais sera efficace. La Chine est à peu près convertie d’avance ; elle n’a aucun intérêt à, la guerre et elle désire probablement la paix ; mais en est-il de même du Japon ?

On n’a pas de détails bien précis sur l’origine du conflit actuel. Une révolte a éclaté en Corée, comme il en éclate presque chroniquement par suite d’une situation sociale et administrative vraiment intolérable, et le roi, menacé par les insurgés qui s’étaient avancés jusqu’aux portes de Séoul, a fait appel à l’appui de la Chine dont il reconnaît la suzeraineté. Cette suzeraineté est très ancienne. Elle a été formellement confirmée en 1636, lorsque la dynastie tartare des Tsing a remplacé celle des Ming, et même elle a été alors imposée à la Corée avec d’autant plus de rigueur qu’elle avait essayé, mais en vain, d’assurer son indépendance. La Corée paie à la Chine un tribut annuel de pièces de soie et de toile, de nattes, de peaux de cerf et de loutre, de rouleaux de papier, etc. La chronologie adoptée dans les actes officiels est celle des empereurs de Chine. Le calendrier en usage est le calendrier chinois, et, tous les ans, une mission est envoyée à Pékin pour le recevoir des mains de la congrégation des rites. Le roi de Corée demande l’investiture au Fils du ciel. Lorsqu’il lui écrit, il signe très bas : « Moi, sujet, » comme un simple fonctionnaire, et il n’occupe pas dans la hiérarchie chinoise une situation supérieure à celle des vice-rois. La Chine a obligé le roi de Corée à envoyer une note aux puissances pour leur notifier cette situation, mais celles-ci n’en tiennent aucun compte et elles ont toujours traité avec la Corée comme avec un État indépendant. Le gouvernement coréen a essayé de s’affranchir de cette vassalité en ce qui concerne ses rapports avec les puissances, et, en 1888, il a entrepris d’envoyer en Europe et en Amérique des représentai diplomatiques : cette tentative a avorté.

Le Japon a eu, lui aussi, des prétentions de suzeraineté sur la Corée, mais il a fini par y renoncer officiellement et par reconnaître l’indé-